samedi 18 février 2012

Page 2 (008)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 2 du texte de 008]


Auprès de mon arbre, je vivais heureux !" — Et soudain, ce fut comme une illumination, un éclairage mental qui eût fait pâlir d'envie à la fois Edison et Archimède : l'avion est sous l'eau, certes, mais pas forcément si profondément qu'il serait impossible d'en sortir ! Inutile de jeter l'éponge, d'abattre votre roi, comme on le fait aux échecs. Après avoir éteint votre voisine, vous hurlez aux passagers survivants "il faut sortir ! il faut sortir !" — Plus choix culinaire du requin sera grand, plus chacun aura individuellement des chances de s'en sortir. Comme l'avion est à l'envers, vous voyez des traces de pas au plafond. Plus tard, ce sera le moment d'enquêter sur les causes de l'accident, de comprendre comment la carlingue de l'avion a pu restée intacte malgré la violence du choc, plus tard ce sera le moment de décompter les morts et de fleurir leurs tombes. Pour l'instant, la question est de savoir comment survivre. Comment sortir de cet enfer. C'est alors que vous repensez à Bruce Willis dans "Un piège de Cristal"...
Quand se produit une apocalypse, le plus difficile est souvent de garder son calme. Le Veilleur plongea de nouveau vers l'immense objet sens dessus dessous que lui avait envoyé le ciel. Le Poisson-ami semblait lui aussi intrigué. L'objet aux couleurs chamarrés semblait avoir avalé de la lumière. Le Veilleur savait discerner, dans la nuit ou sous l'eau, les ombres malveillantes. Il connaissait le secret des fleurs, il avait hérité du savoir de l'Ancien, et l'initiation rituelle l'avait fait passé sur le pont qui mène au pays des Eveillés. Mais aujourd'hui, comme s'il était à la fois attiré et repoussé par la pierre magique, il était paralysé : pour la première fois, il avait devant lui un mystère qui semblait envoyé par Tanoué lui-même et dont l'Ancien n'avait rien dit. Il fallait pourtant bien prendre une décision.
Il n'y a qu'un seul dénouement réel, c'est la mort. Le reste, ce n'est rideaux et portes-fenêtres. Voilà ce que pensais Greta, dans l'espoir de garder prise sur sa tristesse, de s'arc-en-cielliser le coeur un chouïa. Les indiens disent bien qu'il ne faut faire sécher toutes ses pommes dans le même tipi. Tant pis, elle resterait attendre des nouvelles de Nils à la maison, elle ne courait de toute façon pas assez vite pour fuir son attente. Ca ne servait à rien de se masquer la face, quand l'inquiétude plante son dard, même le champion du monde de scrabble soupire.
C'était de ses souvenirs du monde inversé que le Veilleur tirait l'essentielle de sa sagesse. Il accédait à l'univers des ombres de son tipi, chaque nuit, durant son sommeil. Ses songes n'étaient pas de simple créations de son esprit, de pâles souvenirs des jeux et des querelles du jour. Ses songes n'avaient rien à voir avec les autres membres de la tribu du Tanoué : ils étaient une porte et avaient le pouvoir de renverser le monde du jour. Nul pourtant n'enviait ce pourvoir : il s'éveillait bouleversé, parfois euphorique, mais en général déprimé, et rien ne pouvait l'atteindre davantage que ses rêves. Il passait ensuite des heures, éteint, à essayer d'interpréter ce qu'il avait vu dans le monde inversé, des insectes qui volent, des insectes qui marche, rien ne venait au hasard. Mais c'était en général quand venait l'heure des procès, au moment où la chaleur de l'après-midi était sur le point de décliner, qu'il comprenait le sens de ses visions. Jamais les énigmes de la nuit n'étaient restées sans échos dans les querelles qui lui étaient soumise. Et, maintenant que la créature en feu lui offrait une nouvelles énigme, la plus terrible qu'il ait eu à résoudre, il se souvint de la flèche.
Igor chassa d'une tape de l'index la pièce de scrabble que le looping de l'avion avait envoyé dans sa narine. « A moins d'un coup de baguette magique, cela m'étonnerait que je survive à cette mésaventure », pensa t-il. Ce n'était pas pourtant pas qu'Igor esse des dons de voyance, il n'était pas extra-lucide, lucide, c'est tout. Ce qui était dommage, tout de même, c'est de ne pas pouvoir écrire une dernière lettre à ses proches, ni même un testament. Il allait être écrasé comme un insecte, quelque part au milieu de nulle part, il serait impossible à quiconque d'indiquer l'endroit de sa sépulture, pas plus que l'heure de sa mort. Tout au plus pourrait-on désigner un trajet ou une direction sur une rose des vents. Il deviendrait une probabilité de présence, rien de plus. Parvenir à l'accepter, voilà qui était la clé. Et même s'il n'y parvenait pas, le sol s'en chargerait pour lui.

... Mais ce n'était pas un piège de cristal, c'était un avion échoué, tourneboulé et partiellement en feu. Que ferait Bruce ? Que ferait Bruce à ma place ? — La réponse est en toi, petit scarabée, la réponse est en toi ! — Alors vous expirez un grand coup, et vous faites les vide. Oui, au milieu de cette apocalypse submergée par les flots, vous faites le vide : . Eureka ! L'éclair de génie tant attendu vous tira de votre état quasiment nirvanique, dont le constat en bonne et due forme eût pu vous faire passer d'un coup quatre ou cinq dan de méditation bouddhique. Entre le feu et l'eau, il y a toujours eu incompatibilité d'humeur. Vous n'étiez pas un poisson, c'était une certitude, mais au moins vous saviez nager. En revanche, votre expérience de viande à rôtir était plutôt limitée, pour ne pas dire nulle : tout au plus vous étiez vous un peu brûlé la main, un jour, en écrasant un mégot dans votre paume (mais ce n'était pas le moment d'essayer de vous demander pourquoi). Une rapide évaluation de vos chances de vous en sortir, calcul qui aurait une fois de plus prouvé la supériorité du cerveau humain sur la machine, si toute fois il avait pu être constaté en bonne et due forme, cette rapide évaluation vous révéla que vos chances de mourir étouffé étaient aussi grandes dans un incendie que dans un océan, mais que le feu comportait des risques supplémentaire, alors que prendre la mer ouvrait des chances de survie. Votre décision était prise, un chef était né. Vous hurlâtes "debout, moussaillons, debout, naufragés, écorchés, chair fumante ! l'eau seule nous libèrera : elle nous libèrera par la mort ou par l'air ! venez tous derrière moi, j'ouvre les portes du salut!" Nerveux, en dépit de votre inspiration quasi-prophétique, chantonnant encore la chanson de Brassens pour vous donner du courage, vous ouvrîtes la porte de l'avion...



(à suivre)

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