samedi 11 février 2012

Page 1 (Juliette Sabbah)

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 1 à 5 écrits par Juliette Sabbah forme la page 1 de son texte.]

Elle fut soudain réveillée par un BZZZZZZ tonitruant comme un coup de tonnerre. La bouche un peu sèche (était-ce ce poisson sans goût qu’on leur avait servi au « dîner » (dîner !) qui lui donnait si soif ?), elle se tourna vers son voisin qui dormait comme un bienheureux. Mais non, il ne ronflait pas… Une goutte de sueur la fit frissonner, elle avala sa salive, ferma les yeux pour ne pas voir les insectes qui commençaient à bourdonner devant ses yeux mi-clos. Voilà qu’elle allait être reprise d’angoisses – les images de l’incendie lui revenaient ; l’avion entrait dans une zone de turbulence. D’où pouvait venir ce bruit qui résonnait encore à ses oreilles ? Ou bien était-elle la seule à l’entendre ? « Comment une abeille aurait-il pu s’introduire dans l’appareil ? » tenta-t-elle de se raisonner.
Elle s’agrippa à son siège en essayant de ne pas réfléchir, de ne pas jeter de ponts entre ses pensées en pagaille, d’oublier abeilles et poisson, de faire adopter à son esprit un rythme de tortue, voilà, de tortue, tout plutôt que ces fichus insectes au bourdonnement assourdissant… Mettre un mouchoir sur ses pensées, les enfermer dans un coffre et en jeter la clef, ne pas croquer dans cette pomme défendue. Rouvrant les yeux et les tournant vers son voisin, elle s’aperçut qu’il était parfaitement réveillé à présent et qu'il la contemplait fixement. Sa voix lui parvint comme un éclair dans l’orage : « On se connaît ? »
Elle le fixa à son tour. Il était frisé comme un mouton, le regard vif et clair (ses yeux étincelaient) et il hochait la tête avec régularité, comme s’il débitait un chapeler mental… Un bel homme, de fait, du genre de celui qu’on emmènerait volontiers avec soi sur une île déserte le jour de la fin du monde. Il portait autour du cou une chaîne au bout de laquelle pendait un étrange talisman. Elle alluma la veilleuse afin de le contempler plus à son aise ; il ne cessait de sourire calmement. En effet, le connaissait-elle ?
Pour couper court à son tremblement, elle lui tendit la main : « Je suis Maya. Et vous ? » Cette phrase n’eut pas l’effet attendu par Maya. Au lieu de sourire et de répondre quelque chose comme : « Enchanté » ou encore "C'était donc vous !", l’homme grimaça, dodelina de la tête et sembla tomber en catalepsie. BZZZZZZZZZ ! Le bourdonnement reprit de plus belle aux oreilles de Maya qui, pour se donner une contenance, enfila prestement ses chaussures qu’elle avait enlevées pour dormir. Elle plongea la main dans son sac et toucha son porte-bonheur en bois de chêne : il fallait agir.
L’avion s’était remis à secouer ; il piqua du nez, avant de remonter brusquement. Une atmosphère de panique se répandit dans l’appareil. Maya ferma les yeux, pensa au calme que cela serait de s’abîmer là, entre les satellites et les étoiles… La voix du pilote résonna dans le cockpit : « Attachez vos ceintures, les turbulences risquent de s’aggraver ». En un éclair, Maya songea à ces films-catastrophe où les passagers se retrouvent soudain la tête en bas, avant qu’un héros ne s’improvise pour sauver tout l’équipage ; un héros de carton-pâte, qui redressait l’appareil avec une canne et une équerre, pour le faire atterrir avec désinvolture au milieu de l’océan. « On dirait que je vais devoir m’y coller », murmura-t-elle. D’abord, réveiller le voisin. Elle tira de son sac une paire de gants en plastique et les enfila.



(à suivre)

Juliette Sabbah

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