vendredi 9 mars 2012

Episode 25


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “"On continue cette descente harmonieuse vers le néant, avec néanmoins une partie stable et parfaite, le "six" constant et une autre partie qui s'érode à chaque jet..." Il l'interrompt: "Puisque nous somme deux, peut-être l'un des dés prédit-il mon avenir et l'autre le tien? Qui donc s'érode et qui demeure parfait?" "Ca ne marche pas comme ça, sourit-elle. Cela dit, tu as raison, tu devrais les lancer à ton tour."” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Chan Li Poum trouva le puits qui donnait son eau au faubourg. Il y fit ses ablutions, sous le regard amusé des enfants du village. Le jeune paysan se demandait si ces vauriens l’avaient vu échouer au concours du Shangri-La et s’ils se moquaient de la mine déconfite qu’il avait alors. Prenant un air digne, Chan Li Poum reprit sa chemise, l’épousseta, et, droit comme un chêne millénaire, marcha vers les remparts qu’il n’avait pas eu le temps d’observer la veille. Alors qu’il s’approchait du mur pierreux, il entendait s’élever de l’enceinte du monastère les cris des novices qui commençaient leurs entraînements, qu’il imaginait mêlant jonglerie, hallebarderie, combats de sabres contre épées, de bâtons contre massues, tir à l’arc - il imaginait les vieux maîtres attentifs, enveloppant d’un regard bienveillant les progrès de leurs élèves, veillant au libre déploiement de ces jeunes forces qui façonnaient le gongfu de demain. Il fallait qu’il voie cela. Il eut l’idée d’un stratagème.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Et puis après : l'invasion. Des profanateurs de sépultures ? Laquelle ? Ah oui, déjà. Moi ? Vous me prenez en photo ? Prenez moi tout entière, prenez ma poitrine en photo. Mon absence de seins. Qu'ils sachent. Que tout le monde sache. J'ai été une biochimiste de renom vous savez ? C'est drôle non ? J'étudiais les médicaments contre le Ce Que C'est.
Vendredi. Un peu plus tard.
Mon sein gauche est devenu un pont vers mon sein droit et d'autres ponts vers l'ensemble de mon corps et organes, ma vulve, tout ce qui me fait femme, des villes tentaculaires, des choses à bubons ramifiés, des araignées, mon foie, des concerts, des légers putréfiés, ma salive même, c'est injuste. L'eau coule dessous et elle est très poissonneuse. J'ai bien conscience de ce qui se passe et j'ai bien appris durant mes cours et que l'on appelle cela métastases et que cela veut dire la fin plus que fontaine (je ne boirai plus d'eau).
On pourrait faire cela et être larmoyant. On pourrait dévier vers du pathos, de l'émotionnel, et des chevaux qui galopent en un peu un flou pendant qu'une mer charrierait de petits crustacés qui lutteraient dans un sable en premier plan sur une musique des violons et un ocarina, mais on l'a tant fait par le passé que ça tend dans le temps trop. On pourrait dire que "oh lala" ou me construire une épitaphe adéquate dans du marbre vert d'Estours ou "oh peuchère d'elle". Dans une chambre d'hôpital, un jeune homme finit sa courte existence la crâne cagneux en suffocant à la manière d'un athlète arrivé au terminus bus et arrimé sur un lit mécanique et des câbles collés de partout volant vers des cieux coaguleux cloaqueux. Son dernier râle est pour rien et sonne creux, ne rebondit pas, c'est un râle de feignant, un râle de pauvre, un râle de rien. La famille se regarde, souffre cette seconde, n'intègre pas grand chose : ça reste assez interrogatif, ça se suspend, l'espace-temps d'un instant. Il y a trop d'air dans la pièce car le jeune homme ne prend plus ses bouffées. Le quota d'oxygène inspirable est trop élevé car il ne tient pas compte encore de la disparition du corps et l'air pris. L'air en trop comble donc ainsi de décombres la chambre d'une pression trop forte et le beau temps anticyclonique se fait : il y a dans cette chambre une contradiction météorologique inadéquate qui prend la forme d'une canicule qui réussit à faire transpirer tout le monde à grosses gouttes par les yeux. On représente la fin triste par une pluie mais on devrait plutôt la représenter par un soleil radieux. La poésie, l'allégorie et la représentation sont si mauvaises scientifiques. Je sais où je vais, la direction m'est désignée d'un doigt gros et boudiné et comme à mon habitude, je compte les jours, j'égraine les heures, je file la laine de ce qui me retient. De dépasser l'armateur à droite ou à gauche.
Je souhaite un petit arbre ou un genêt, je souhaite qu'on m'y dépose. Je souhaite que le vent m’amène là, et là, et puis là, s'il vous reste encore quelques mémoires et de la petite place pour un souvenir à ma taille de biochimiste. Dites au Pléthore, mon aimant, que je ne lui en veut pas. J'aurais bien assez fait pareil. J'aurais coupé mon sein aussi pour lui. Avec un couteau électrique de cuisine et ça dès le début. Aller à la racine pour éviter que la greffe prenne et ainsi lui épargner la mutilation. Et les réflexions sur le fait de passer outre ou pas outre ou pas outre ou pas outre ou pas outre ou pas outre ou pas outre ou pas.
Je suis douce non ? Regardez-moi dans les yeux, je ne me mettrai pas à pleurer. Allez de l'avant. Prenez soin de vous.
Bisous.
Maman.

Les traitements à visée générale :
Ce type de traitement est préconisé lors de l’observation de lésions diffuses ou d’un cancer de type invasif.
· L’hormonothérapie sera ainsi utilisée pour des cancers de type hormonodépendants et s’avère particulièrement efficace dans le cas de cancers formés dans des tissus tels que les glandes mammaires ou la prostate.
· La chimiothérapie est une technique de traitement à part entière au même titre que la chirurgie et est caractérisée par l’utilisation d’un cocktail médicamenteux spécifique au patient faisant intervenir des agents de natures différentes des fleurs, ni pleurs, ni couronnes : cette femme n'existe pas.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “Dix minutes plus tard, tous les bruits avaient cessés. Tous étaient pendus aux lèvres d’un spécialiste des ondes qui communiquait avec le responsable du sonar du Thonnier espagnol.
Ils avaient eu gros temps durant la nuit, mais le vent était un peu retombé lorsque Son équipe parvint à joindre le navire. La mer les roulait encore un peu dans tous les sens et ils eurent du mal à se déplacer jusqu’à la source du signal. C’était posé là, à plat sur l’eau et ça montait et ça descendait, suivant la respiration de l’océan. Un gros morceau de tôle triangulaire qui, par un caprice des vagues n’avait pas encore réussi à couler. Entre deux tangages l’équipage put distinguer sur le dessus de la plaque une flèche, le symbole de la compagnie aérienne à laquelle appartenait l’avion disparu. On exulta de l’autre côté du fil, on avait enfin une piste… Elle eut un léger sourire avant de reprendre sa gravité, imposant à nouveau le silence, on n’avait qu’un aileron et rien n’indiquait que le reste de l’appareil fut dans les parages, ni le témoignage des marins, ni un quelconque écho de sonar. Les satellites étaient toujours aveugles, les communications muettes. On n’avait qu’un bout de ferraille qui avait bien voulu ne pas couler trop vite et aucune trace des 200 passagers.
Commencent alors les hypothèses. On examine toutes les possibilités. Tout le monde s’affaire à nouveau, Elle répartit les tâches. Christobal respire enfin. Un groupe d’ingénieurs affinent leur calcul de trajectoires en fonction des nouvelles données, d’autres ramifient les scénarios élaborés pour expliquer la disparition. On parle de ricochet, de défaillance de matériel. On définit des périmètres en fonction de l’heure de disparition.
Et Elle ? Elle s’est redressée. Elle a aboyé des ordres à tous et à chacun. Tout est bien rentré dans l’ordre. Elle peut reprendre sa place, retourner à son trône, la situation lui appartient.
Au loin un téléphone hurle. C’est pour elle. C’est terminé.” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “Maya se tut et avala sa salive. Sous le soleil de plomb, on n’entendait que le clapotis d’une fontaine ruisselant à côté de la petite piscine. L’homme frisé hocha la tête, il attendait la suite, suspendu aux lèvres de Maya. Elle poussa un profond soupir et reprit : « Je me suis éloignée en courant, j’ai constaté que j’avais la lampe torche dans ma main. Papa avait dû me la tendre et je l’ai prise sans m’en rendre compte. J’ai couru très longtemps, direction précise. Puis je me suis appuyée contre un arbre et j’ai attendu le matin. Mes pensées étaient attirées uniquement vers mon père : était-il resté dans la maison ? Etait-ce lui qui avait mis le feu ? »
L’homme l’interrompit alors : « Votre père vous avait-il parlé du Boulier ? »” (Juliette Sabbah)

Episode 24


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Elle se relève, les yeux farouches, brandissant le petit cube aux angles biseautés, comme Salomé Jean-Baptiste. "Un" s'exclame-t-elle. "Six" et "un". Quelle belle série, "neuf, neuf, huit sept". Il intervient: "Je n'ai pas vu le résultat, donc je ne suis pas certain que ça compte." Sans parlementations, elle relance les dés et fait exactement le même résultat. "Le hasard n'a rien à voir là-dedans" déclare-t-elle."” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Mais il ne pouvait se résoudre à penser que ces années épuisées à apprendre des passes, des gardes, des postures, avaient été usées en vain. Il laisserait donc sa chance au moine errant - lequel choisit cet instant précis pour se retourner sur sa natte et se gratter les fesses. Chan Li Poum détourna son regard et vit le jour se lever. Au loin, la bannière du Shnagri-La flottait dans le ciel comme l’étoile du Nord qui, la nuit, guide les voyageurs, réconfortant avec une douceur toute maternelle ceux qui se croient perdus. Chan Li Poum pensa à ses parents, à leur probable déception quand ils apprendraient son échec et il décida d’aller s’entraîner, sans attendre le moine.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Oh non, non, non. J'vais pas vous cassez les pieds avec ça.
Jeudi, oui. Deux ans après le lundi donc, là, exactement.
Il y avait cette question de mutilation. C'était très savant pourtant dans la vraie vie c'était très concret mais pourtant incorrect, et cela disait : ça m'a transformée en monstre de foire. La Femme à Barbe ! La Femme-Tronc. Payez pour la voir, par ici la monnaie, par ici la ferraille : la Femme-sans-Vie, la Femme-plus-Femme, la Femme-Tige, la Femme-Os. Une sorte de Vénus Hottentote inversée : plus de sein gauche, moins de chair, une avarice de peau en doline, M'ssieursdames, venez contempler la balafre (sons d'orgue de barbarie et de cris enjoués, des orgues de verre, des cymbalums, odeurs de barbe à papa et d'arachides grillées dans des cornets, de pommes de terre frites). Vous pourrez toucher si le coeur vous en dit et s'il est bien accroché ! Cette femme a tout perdu. Elle avait un travail, un mari (le Pléthore) et était heureuse. Et puis du jour au lendemain, sa vie a basculé. Puis elle a subit une opération, une chimiothérapie, une ablation d'humanité : approchez, n'ayez pas peur : elle est famélique, c'est incroyable, la lumière passe au travers : elle est un parchemin. Son visage est buriné, pourtant, si jeune est-elle qu'elle avait des choses à vivre avec des joies et un mariage pourquoi pas et de bons et beaux enfants mais pas de fille, pas de fille. Elle est si rongée de l'intérieur et ça se voit tellement à l'extérieur, c'est un régal. Elle est une femme sauvage. Elle évolue dans une forêt : regardez. Elle se fond dans le paysage. Elle se repère grâce à la mousse qui pousse sur le tronc des arbres. Parfois, elle sort pour se désaltérer à l'onde fraîche d'une fontaine puis elle repart, sous les yeux ébahis des villageois. Oh bien sûr, son histoire est triste et tragique, mais regardez avec quelle vivacité elle parvient à danser encore et encore comme remplie d'un feu surnaturel ! Peut-être n'est-elle pas ici ! Elle évolue sous la poursuite, la lumière caresse sa moitié de corps, venez venez mademoiselle, ne jouez pas votre timide ! Autrefois biochimiste, maintenant sujet d'étude : on dégringole si vite. Il suffit d'une cellule. Touchez, touchez ici la cicatrice ici. Allons allons, veuillez allonger la monnaie. Touchez. C'est doux non ? Ne la regardez pas dans les yeux, sinon elle va se mettre à pleurer. Elle a ses petits défauts aussi. Regardez son rift, regardez les plaques tectoniques qui courent le long de son flan, contemplez avec quel acharnement ils ont posé les agrafes. Elle est si belle non ? Et pourtant si foutue...

Il n’existe pas de traitement valable pour l’ensemble des cancers tant chaque cas parait unique, de par la médication qu’il nécessite et le suivi qu’il initie.
Deux types de traitements peuvent néanmoins être mis en exergue : les traitements à visée locale, lorsque le cancer est bien localisé sous forme de tumeur isolable, et les traitements à visée générale.
Les traitements à visée locale :
• La chirurgie cancérologique consiste en une opération qui permet l’ablation directe de la tumeur. Généralement, elle oblige les chirurgiens à effectuer un curetage autour d’elle (de plusieurs centimètres) afin d’éviter toute reformation de la tumeur.
• La radiothérapie permet également, par rayonnement, de traiter les tumeurs ayant un volume déterminé et limité.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “- C’est sans doute un leurre, jeune homme, fit remarquer Ramirez. Un écho comme nous en avons eu de nombreux cette nuit, et que vous auriez identifié tout de suite pour ce qu’il était si vous ne vous étiez pas endormi.
- CE N’EST PAS CA CHRISTOBAL, BIEN ENTENDU.
- Pppprrobablement non
- Probablement quoi ?
- Un Echo ?
- C’en est-un ?
- Probablement … euh… nwonnwww
- IL A DIT NON.
- Il n’a rien dit.
- SI, VOUS AVEZ TRES BIEN ENTENDU. JE RÉPOND DE MON HOMME
- Vous n’allez pas penser qu’un bête écho provenant d’un navire de pêcheurs soit une piste valable
- ET POURQUOI PAS ? VOUS LAISSERIEZ CREVER 200 PERSONNES EN ÉCARTANT UNE HYPOTHESE OBSCURE, JUSTE PARCE QU’ELLE VOUS DEPLAIT ?
Elle savait que ses arguments ne valaient rien, mais après une nuit comme celle-ci, l’autre n’avait pas mieux à lui opposer et la force naturelle de sa voix fit le reste. Le dialogue de sourds dura encore cinq minutes, puis Ramirez repris son masque souriant, tout or et albatre, et concéda le point. Elle le regarda s’écarter à reculons dans son coin, le jaugeant du regard. Il avait de nouveau le portable en main.
- ET ALORS, IL DIT QUOI CE THONNIER ?” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “Je me suis retrouvée là, à regarder mon père avec sa lampe de poche à la main, sans comprendre. Partir, donc. Mon père me regardait, le visage figé en un masque sombre. Plus rien de l’homme passionné par les pyramides et les grimoires, prêt à se déguiser en Chat Botté pour amuser la petite fille que j’étais. Je raconte ça parce que c’est important pour la suite », précisa Maya. « Je suis donc partie dans la nuit sans lune, après avoir demandé à mon père ce qu’il ferait, le pourquoi de cette fuite. Il avait secoué la tête sans me répondre, les doigts fermés sur le cadenas du cagibi. À peine étais-je sortie que la maison a flambé en un instant »” (Juliette Sabbah)

Episode 23


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Il cherche machinalement le contact rassurant de son passeport dans sa poche arrière. Peut-être devrait-il retourner au Japon. Là-bas au moins, il a de bonnes raisons de se sentir étranger. Le parfum trouble de la soupe de nouilles bouillante de l'aéroport remonte ses pensées au galop. Perdu dans ces souvenirs, il ne voie pas les contorsions inhabituelles qu'elle fait de mauvais grâce pour tenter de trouver le deuxième dé. ” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Chan Li Poum se réveilla d’heureuse humeur. Il avait certes échoué au concours du Shangri-La, mais il avait depuis cet échec arrêté un plan pour se présenter à la prochaine sélection dans de meilleures conditions: Pied Nuageux le préparerait. Mais, avant d’entamer cette préparation, il lui faudrait convaincre le moine qui, à cette heure-ci, dormait encore sur la natte étendue à côté de celle de Chan Li Poum, débraillé, ronflant, rôtant épisodiquement, se grattant le ventre, qu’il avait poilu et crasseux. A présnet dégrisé, le jeune paysan se demandait si son idée de la veille était si bonne que cela, et s’il ne serait pas plus judicieux de se présenter au monastère pour devenir cuistoit ou artisan: il abandonnerait le gongfu mais, au moins, il serait auprès de ces maîtres qu’il vénérait e dont les savoirs mystérieux, inaccessibles, l’attiraient comme le bambou attire le panda que tiraille la faim.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “"_Mais bien sûr qu'être chercheur a aidé, que veux-tu que je te dise d'autre ? J'ai bien compris ce qu'était le Ce Que C'est, bien avant qu'on ne me lui donne un nom en forme d'énigme, je ne suis pas totalement : "savez-vous ce que le Ce Que C'est est ? Le savez-vous ? Au moins le savez-vous ?". Je ne suis pas naïve en biochimie mais je suis chercheur en biochimie, alors bien sûr que ça me parle, je suis calée en biochimie. Pas stupide. Bien évidemment.Les grosseurs, je sais ce que c'est lorsque ça a des effets laids. Mais dis-moi Pléthore, est-ce le Ce Que C'est qui te fait me quitter ? Ou bien est-ce la disparition de mon sein gauche ?"
Mercredi. Un an après.
"_Est-ce la balafre ? L'entaille. Dessous le cœur. Toute courbe. Une autoroute. Dessous mon monde intérieur qui tourne et continue de battre mon magma magnétique qui affole les boussoles. Rond. Chapeau pointu. Dessous, mon avenir. Incertain. Véritable. Dessous ma vulnérabilité qui frétille et fait des vrilles. J'ai lu de nombreux livre, je me suis dit que ça serait pas facile, des livres très épais aux pages nombreuses et aux textes longs comme la file d'attente à la caisse d'assurance maladie. Pour nous deux. Je ne suis pas seule. Nous formons un banc de poissons. De poissons mis au ban : les témoignages, c'est au-delà de toutes publications scientifiques ou écriture comptable si on dresse la liste de ce qui nous est dû. En tout cas je ne l'étais pas. Je le savais. Je ne suis pas plus bête qu'une autre. Je suis plutôt intelligente même. On me l'a dit. J'ai une carte de chercheur en biochimie qui paraphrase mon intelligence, ma logique et mon esprit de déduction. Avec ma photo dessus. Ma photo bien cadrée à partir de mon cou et un tampon à l'encre bleue comme tes yeux Pléthore "ne photographiez pas ma poitrine" "cela vous convient-il ?" "oui c'est parfait mais ne peut-on pas un peu remonter ?" "remonter, ce n'est plus la poitrine mais le cou que vous allez cacher, madame" "remontez, s'il vous plait, remontez". Photo d'identité. Mon sein. Sans doute l'ont-ils brûlé dans un four après la biopsie. Comme un vulgaire déchet. MON sein. Tout juste comme un emballage de pizza ou bien un pack de lait. Mon sein. On a enlevé à une chatte ses trois petits, nous les avons ensuite noyés dans le baignoire puis mis dans la benne à ordures devant la maison. La chatte a commencé à tourner en rond, à chercher, chercher, notamment sous le meuble de la télévision, parmi les petits moutons. Elle s'est beaucoup lécher durant quelques jours parce qu’elle ne pouvait pas nettoyer ses petits. Substitut. Puis quelques temps plus tard, elle a de nouveau eu ses chaleurs et a tout oublié. Je ne suis pas pareil. Toi non plus. Comment pouvais-tu me désirer encore ? Comment pouvais-tu aimer cette cicatrice ou bien cette désormais moitié de femme que je suis ? Je sais bien qu'on m'a enlevé quelque chose, je ne peux rien faire contre ça, tu sais. Je ne peux pas lutter. Si j'avais pu, tu penses bien, je ne me serais pas laisser faire. Le ganglion sentinelle, celui qui fait les cent pas et qui peut te tirer dessus. J'ai pas la clé pour le faire revenir tu sais comme j'ai pas la clé pour t'empêcher de partir. Pour la chaleur de tes bras, le rebondi de ta braguette qui résonne du passé comme le clavecin pour le piano, un écho de ce qui fut. J'ai pas la clé pour que tu te sentes de nouveau sur mon sein comme dans une maison. Je peux te construire, avec mon absence de sein, une sorte de cabane,un cénotaphe très en la mémoire de ce que nous avons été l'un pour l'autre. Le vide, on le remplit bien avec ce que l'on veut. Alors oui, tu peux bien choisir de me laisser, mais j'apprécierais bien assez que tu restes, tu sais, hein, ma Pléthore de moi."
"_ Je te laisse les clés sur le meuble. Au revoir. Prends soin de toi".

Notons également que certains facteurs de promotion peuvent accélérer la prolifération d’un cancer en exerçant de nombreuses modifications et dérèglements. Parmi ces promoteurs, on peut citer :
• la nutrition, l’alcool et certaines amines présentes dans le tabac
• les infections ou les traumatismes répétés
• la participation de certaines hormones (notamment pour les cancers dits hormono-dépendants tels le cancer de la prostate, de la thyroïde, du col de l’utérus…).
Par conséquent, considérer le cancer comme une seule maladie serait une erreur tant les mécanismes et autres facteurs entrant en jeu sont nombreux. Le cancer doit être considéré comme une somme de pathologies dont il convient de combattre les différents symptômes en combinant de multiples thérapies
complémentaires. Pour ce faire, la médecine dispose de nombreuses stratégies et différents traitements à portée plus ou moins locale suivant l’importance et le type de cancer.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “- Hey, j’ai quelque-chose !
Christobal émit un cri et sursauta en s’éveillant. L’Amiral se retourna un instant. Profitant de sa distraction, Elle en profita pour se mettre hors de portée, bondit de son siège et vint se placer derrière l’analyste. Ça pouvait être n’importe quoi, elle saurait bien s’en contenter, faire d’un pet de mouche une donnée significative.
« ALORS ! QUOI ? »
Tous les regards se tournèrent vers la pauvre carcasse de l’aiguilleur. Il avait du rêver très fort pour pousser ce cri, mais son écran était désespérément vide. Désespérément ? non. En fait, les choses avaient bougé durant les dernières heures. Comprenant que son avenir était en jeu, il se força à ne pas sentir les regards qu’on braquait sur lui. Il recommença les mantras, mais intérieurement. Jesuisdansmonélémentjesuislàoùjedoisêtreetpasailleursjesuisindispensablejedoisparlerjedoisdirecequejesais
Il voyait le monde sur un écran, et dans le flot des statistiques, des coordonnées sur la grille terrestre, il y avait un écho, un petit bout de quelque-chose qui avait renvoyé un signal à un capteur et qui apparaissait – depuis combien de temps ? - sur l’écran de notre héros, quelque-chose de trop significatif pour être un parasite, peut-être un parasite d’acier, une vieille coque poussée à la balade par le jeu des marées.
- J’ai un signal, un écho repéré par un navire de pêche qui nous a transmis une série de coordonnées. Ils se dirigent vers la source…” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “Nous nous sommes retrouvés dans le noir. Tout autour de la maison, c’était le silence, on n’entendait plus que le « BZZZZZZ ! » du téléphone. Mon père, brusquement tiré de la lecture de son livre, a saisi le combiné. Je ne pouvais pas le voir, ni entendre la voix qui parvenait à son oreille. Après un long moment – qui m’a semblé une éternité – j’ai entendu un clic métallique. Il avait raccroché. Je l’entendis se diriger à tâtons vers le cagibi où il mettait ses outils, il tourna la clef dans la serrure et fouilla dans le noir jusqu’à trouver une lampe de poche. Quand la lumière se fit, il me regardait fixement à travers ses lunettes à écailles. « Tu dois partir, et vite », prononça-t-il. ” (Juliette Sabbah)

mercredi 7 mars 2012

Episode 22

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Elle s'assoie en tailleur sous son regard faussement détaché. Elle lance à nouveau les dés, qui rebondissent avec violence et s'écartent à grands bons l'un de l'autre dans des directions imprévisibles. L'un d'entre eux fait un six, l'autre est dissimulé par un pied de table. Il voit l'écran de son téléphone s'allumer, par terre. Un numéro japonais. Quelle heure est-il, à Tokyo? La machine lui propose "répondre" ou "ignorer". Il ignore. ” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Mais comment escalader cette montagne dont le sommet, au-delà des nuages, lui semblait plus éloigné que jamais, lui que sa misérable déconfiture avait jeté plus bas que terre? Il lui fallait un maître. Il lui fallait quelqu’un qui connaisse les usages, ce qui se fiat, ce qui ne se fait pas, ce qui séduit les juge, ce qui leur inspire du mépris. Il tournait cette idée dans son esprit, ne prêtant qu’une oreille distraite aux ruminations de Peids Nuageux, quand la solution lui apparut, évidente: pourquoi courir le monde quand, à sa table même, il avait, à défaut d’un maître, ce qu’il fallait bien appeler un amateur éclairé. Chan Li Poum se mit à regarder avec attention le moinillon. Il n’écoutait pas plus son monologue, mais, examinant son visage, ses mains, ses effets, pour déterminer s’il pouvait faire office de maître. Il déciderait le lendemain, après avoir dormi sa nuit. Cette résolution lui inspira joie et espoir - et Pieds Nuageux crut, devant la mine réjouie de son convive, que ses exhortations à renoncer aux concours impériaux avaient fini par pénétrer l’esprit du jeune paysan.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Aujourd'hui, nous sommes mardi. Et le "Ce Que C'Est" est connu depuis une semaine. Depuis que le médecin a dit : "je sais ce qu'est le Ce Que C'Est" et le mot est sorti de sa bouche, et le mot s'est mis à ricocher sur les murs, sur ses diplômes, sur ses bouquins rouges _Vidal_ vital_ et sur l'odeur d'éther et de détergent qui règnent dans le cabinet, et le mot s'est mis à divaguer : "je suis le mot qui est le Ce Que C'Est, je suis le mot qui donne du sens à tout ça, je suis le mot. Je suis Ce Que C'Est", et le mot s'est mis à donner une direction à ma vie, à lui donner du sens, comme la mousse sur les arbres qui indique le nord. "Je suis le mot qui est le Ce Que C'Est, je suis le mot que tu as tant entendu autour de toi sans savoir vraiment qui il était, je suis le mot qui a un visage, je suis le mot qui a désormais un goût, une odeur, une réalité. Je suis le mot qui va te faire vomir, je suis le mot qui va te faire pourrir, je suis le mot que va te voir dépérir. Je suis le mot qui te fera sèche, je suis le mot qui fera pleurer tes proches, je suis le mot qui te fera me haïr, je suis le mot si simple qui fera l'habitude, je suis le mot qui te dispensera de tout, je suis e mot qui te dispersera, je suis le mot qui est le Ce Que C'Est". Pourquoi se faut-il qu'une seule lettre les sépare ? Pourquoi se faut-il que ces deux-là soit si proches ? Du r de regain, je construis du mot "mot" la mort. "Vous avez un". "Vous avez un". "Vous avez un". Pourtant, j'avais l'étrange impression parallèle que ce mot n'avait aucun sens et d'être en train de vivre autre chose sur une île ou bien une plage déserte. J'avais l'impression d'être en vogue sur un bateau. Dans des bras, ou la tête sur un oreiller. Dans une forêt, un endroit très calme loin d'une autoroute ou des poids-lourds. J'avais l'impression de ne pas être présente et de ne pas m’inscrire dans une réalité. "Vous avez un". Deux, trois, quatre... J'avais la tête ailleurs. Loin du Ce Que C'Est. Je regardais par la fenêtre la Lune qui était là en plein jour. Bleue pâle dans le bleu moins pâle du cil et les nuages. Ai-je écrit "cil" ? La Lune est un œil-leurre qui m'éparpille et m'éloigne du Ce Que C'Est. Un temps. Celui nécessaire à une larme pour couler. "Nous allons mettre en place un protocole ". "Il ne semble pas encore invasif". "Nous allons poursuivre les examens". "Plus approfondis". "Ne vous en faites pas". "Continuez à faire ce que vous faites d'habitude".
Et j'ai repensé à l'ampoule électrique qui avait claqué il y a de cela une semaine. Puis : les choses claquent. C'est ainsi. Rien n'est immuable. Rien ne reste.
"Ne t'en fais pas" _ c'est le mari_ "ne t'en fais pas, je suis là". "Je serai toujours là". "Je suis ton Pléthore, tu t'en souviens" _ "oui, je me souviens bien...".
Mais ça fait peur. Il ne faut pas croire que ça ne fait pas peur. Il y a des fois où le Ce Que C'Est est très présent et d'autres où il l'est moins, mais le Ce Que C'Est est toujours là, à l'affût. Comme un prédateur. Je commence à peine à le comprendre et il ne m'a fallu qu'une semaine. C'est un combat. Qui commence.
J'ai téléphoné à ma mère "Maman, j'en ai un. Je l'ai. J'ai un Ce Que C'Est". Sur une boîte vocale : je me suis sentie si pathétique. J'avais oublié qu'elle était en Egypte, en voyage organisé par le CE de la mairie.

En résumé, il existe de nombreux mécanismes permettant de contrer le développement d’un cancer. Dans de rares cas, la cellule cancéreuse peut proliférer dans l’organisme mais pour cela, il faut qu’elle acquière :
• l’indépendance vis-à-vis des facteurs de croissance nécessaires pour leur mitose (les cellules cancéreuses possédant un pouvoir mitotique bien supérieure aux cellules saines leur autorisant un accroissement et une prolifération excessivement rapides)
• la perte d’inhibition de contact
• la modification des facteurs membranaires (acquisition des propriétés
destructrices locales ou au contraire de stimulation) pour leur permettre de
se déplacer (prolifération métastatique notamment).
L’absence d’une seule de ces propriétés peut entraîner l’arrêt du processus cancéreux.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “Ce fut une nuit épique qu’ils passèrent tous à se battre contre les éléments, les circonstances et les hommes politiques. On scruta les la moitié du pacifique sud à l’aide de satellites ultra perfectionnés, le nec plus ultra de la technologie chilienne. Elle avait fait jouer ses contacts à l’étranger et, durant une heure, l’un de ces méga satellites américains, capables de voir une fleur au bout d’une branche de cerisier, zyeuta de son orbite les alentours de l’Ile de Pâques. Les téléphones sonnaient, les analystes analysaient, les computeurs compilaient, les spécialistes des télécommunications lançaient des messages aux quatre vents, les parlementaires, réveillés pour l’occasion, eux, ils firent comme d’habitude – ils parlèrent et ils mentirent, en même temps bien entendu, c’étaient les meilleurs de tous – et Elle, de son estrade, restait impassible. La nuit l’avait rendue silencieuse. Elle était aux aguets, attendant une étincelle, une lueur, un signal un bip, n’importe quoi qui lui permettrait de conserver la situation en main. L’obscurité passa et le retour de la lumière du jour confirma que les teints blêmes n’étaient pas l’effet des néons. Le sommeil s’installait progressivement. Il avait commencé par Christobal, terrassé depuis plusieurs heures déjà. Les yeux ne s’ouvraient plus bien, on les frottait vigoureusement. Seul l’amiral Ramirez, le gradé de l’armée de l’air, gardait un côté pimpant dans son uniforme impeccable. Il raccrocha son portable, CLAP ! tout le monde sursauta, il se composa un sourire d’or et d’ivoire et s’approcha à pas mesurés de l’estrade. Ses poings se serrèrent alors qu’elle le voyait arriver, elle savait, l’idole allait tomber. Elle avait failli, elle devait déchoir.” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “Maya baissa le regard vers les paumes de ses mains et poussa un profond soupir. « Notre maison », commença-t-elle. « C’était la nuit. La nuit noire, une nuit sans lune. J’étais avec mon père, il veillait comme il a l’habitude de le faire à lire ses vieux bouquins sur l’Egypte des Pharaons. Ses vieux grimoires, je les appelais. Nous étions seuls dans la maison, ma mère était partie dormir chez sa sœur, comme ça lui arrivait souvent quand elle se sentait étouffée dans la maison. Moi, cette atmosphère poussiéreuse ne m’a jamais dérangée. On était dans le salon éclairé d’un lustre à différents étages. Je n’oublierai pas ce lustre. Quand le téléphone a vibré (« BZZZZZZZZZ ! »), il s’est détaché tout seul du plafond, comme s’il obéissait à un ordre, et il s’est brisé sur le sol en mille morceaux. ” (Juliette Sabbah)

lundi 5 mars 2012

Episode 21

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Elle étend un bras et passe le dos de sa main contre sa joue, approche son visage du sien et glisse vers son oreille. La douceur calculée de ses gestes le fascine comme on charme un serpent. Le moindre de ses sourires disperse ses appréhensions et lui donne envie de plaire. Il lui en voudrait de ce pouvoir immérité, si elle n'était pardonnée de tout par avance. ” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Chan Li Poum écoutait le moine d’une oreille distraite. Qu’en savait-il, lui, moinillon pouilleux, de ceux que pensent les maîtres? Comment ose-t-il douter de la justesse de leur verdict? N’ont-ils pas été placés là par le Ciel même (avec le concours d’un sous-préfet et de leurs fortunes familiales)? Que faire? Comment vivre jusqu’au prochain concours? Devait-il renoncer au gongfu? a quoi servirait-il de pratiquer cet art s’il n’est pas dans une école? on n’a jamais vu de maître sans école. Le feu du combat, le désir d’apprendre, étaient encore forts en lui. Mais à quoi bon? Il lui fallait un titre, une autorisation pour pratiquer. Il ne peut y avoir de maître errant, comme il ne peut avoir de philosophe errant. L’école est tout. Hors d’elle, il n’y a rien. Le vaste monde est vide, le vaste monde ne reconnaît pas les talents, le vaste monde ne donne ni diplôme, ni titre, ni licence, ni maîtrise, ni doctorat, ni magistrature, ni mandature, ni sous-préfecture. Il devait se présenter au prochain concours.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Se réveiller, après un rêve dans un rêve dans un rêve dans un rêve. Matriochkas. Une impression étrange et dérangeante. Allumer la lumière. L'ampoule qui claque. Un bruit net et mat comme. C'est une chose ardue de céramique. Ne plus trop savoir. Nous sommes lundi. Comme tous les jours depuis maintenant des semaines, je ne me sens pas bien. Ou plutôt, je ne me sens pas très bien. Ou plutôt je pourrais mieux me sentir. J'ai mal à la tête. Je prends de l'aspirine pour que ça passe. J'ai les traits d'une vieille personne. Les membres en béton. Le plomb, on se trompe tant, est en fait, il est vrai, très léger. Mon mari me dit : "prends de l'aspirine, et ça te passera" ce à quoi je réponds : "j'ai pris rendez-vous avec le médecin demain". Alors mon mari me regarde et sourit. "Ne t'inquiète donc pas, P'tit Chat".Et il me prend dans ses bras et je m'y sens bien. Il me rassure. Le gonflement de sa braguette contre ma hanche me rassure aussi. Je m'y colle un peu, juste pour qu'il sache que je sais qu'il est un monde et que je m'y sens bien, qu'il est une planète, une lune, un outil cosmique, un compas, une boussole, un sextant et que je l'aime tant. Que je l'aime pour ses bras et sa braguette gonflée contre ma hanche. Que je l'aime pour ses attentions. Pour son odeur. Ses défauts. Que je l'aime pour les poils de son dos. Parce que c'est bien et c'est simple. Je l'appelle ma Pléthore. Parce qu'il est tout et un peu plus et il s'en va travailler avec son cartable de postier "t'as un cartable de postier" "arrête donc de te moquer tu veux ! ". Il m'embrasse chastement sur la bouche. Nous appelons ça nos baisers "pop". Et il ferme la porte. Et je tourne le verrou. Puis je rejoins et les toilettes. Puis je me penche et la lunette. Puis je m'enfonce deux doigts au fond de la gorge pour vomir parce que je me sens nauséeuse et que ça va toujours mieux plus ainsi avec deux doigts et soulage. Puis je déambule quelques instants un peu dodelinante, un peu distraite, dans le couloir qui relie le salon à la chambre à coucher "à Paris, les loyers sont trop élevés, nous devons nous contenter d'une petite surface" "avez-vous pensé à faire installer une porte blindée à quatre serrures ? Vous êtes à Paris, et vous savez, Paris..." "à poussants ? " "quoi ? " "les portes..." "à poussants, oui, à poussants, quoi d'autre ? Multi points... bien sûr... vous y avez pensé ?" "oui Maman" "je dis ça pas ça méchamment tu sais" "je sais Maman. Bonne journée maman". J'ai pris quelques jours de repos. Je n'étais plus efficace. Je n'étais plus là. Et c'est ainsi que je vais me recoucher un peu. Parce que je suis assez pas très bien. Et que j'ai le choix dans cette grande journée où je n'ai rien à faire. Et j'ai soif. Et sous les draps, je palpe un peu la grosseur sous mon sein en espérant, en espérant, en espérant, en espérant, en espérant, en espérant....

Le cancer est par définition le résultat d’une prolifération cellulaire anarchique. Cette prolifération est généralement initiée par une modification au niveau de l’ADN, le plus souvent par mutation d’une ou de plusieurs bases constitutives de la double hélice. Sous l’effet d’un agent initiateur (des agents cancérigènes tels que les produits chimiques, les virus ou certains rayonnements UV par exemple), cette base est soit remplacée par une autre, soit directement supprimée. Dans la plupart des cas, de telles mutations affectent des secteurs de l’ADN qui, bien que très spécifiques à chaque individu, ne codent pour aucun gène. Ainsi, ces anomalies n’ont aucune répercussion biologique. De plus, l’organisme possédant des outils qui permettent de réparer ces mutations (des gènes spécifiques contrôlent en effet la parfaite intégrité de l’ADN transmis), ces dernières sont en quelque sorte effacées, ce qui assure une restitution ad integrum de l’ADN.
Il peut également arriver que ce soit les gènes des molécules chargées de la réparation de l’ADN qui se retrouvent affectés, influant directement sur la réparation cellulaire en la rendant de ce fait incomplète voire impossible. Ainsi, on retrouve une atteinte de ces gènes régulateurs dans la plupart des cancers humains par mutation des gènes suppresseurs de tumeur (comme par exemple la protéine p53 ou la protéine du rétinoblastome pRB).
Néanmoins, il arrive que certaines anomalies ne soient pas détectées mais la formation et la survie de cellules cancéreuses demeurent plutôt rare en comparaison du nombre infini de divisions cellulaires.
La présence d’une ou d’un petit groupe de cellules cancéreuses ne suffit cependant pas à elle seule à générer une tumeur. Si la cellule affectée n’a pas eu le temps d’être réparée avant la division cellulaire, l’anomalie n’est pas obligatoirement transmise aux cellules filles. La cellule possède effectivement un dernier mécanisme permettant la non prolifération de l’anomalie, à savoir le suicide par mort cellulaire ou apoptose.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “Elle avait installé son QG dans une salle autrefois utilisée pour les réunions de crise et qui n’avait pas servi depuis bien longtemps. Du haut de l’estrade où elle présidait l’assemblée, Elle regardait l’armée de gratte papiers s’activer, le teint blême sous l’effet combiné des néons et du stress. La première crise de sa courte mais impeccable carrière.
Christobal avait fini par faire taire ses récriminations. Elle l’avait amené avec Elle et il travaillait désormais avec un groupe d’analystes. Ses excuses stupides avaient fini par Lui taper sur le système provoquant une réaction épidermique à ce petit bonhomme, à tel point qu’elle le considérait désormais comme l’origine de la disparition de l’avion. S’il n’avait pas détourné la tête, qui sait si le signal n’aurait pas tout simplement continué sa route jusqu’à Santiago.
Elle le regarda, avec son gilet déboutonné et sa chemise tachée... Elle le détestait. Cette mèche grasse, cette face de lune et ce regard fuyant... Deux cent vies peut-être perdues, tout ça à cause de ce minable qui ne pouvait pas boire sans s’en foutre partout, qui passait son temps à se persuader de sa bonne foi. Elle l’aurait volontiers giflé, cet abruti qui n’avait pas pu rester concentré quelques heures, qui n’avait pas su, de la seule force de sa volonté, maintenir l’appareil sur son cap, contre vents et marées. L’infâme salopard avait sacrifié leur réputation à tous en l’échange d’une gorgée de jus de chaussette. Oh oui, elle brûlait de décharger sa colère sur lui, mais son temps était compté et quand les officiels des différents ministères firent leur entrée avec, au milieu, un gradé de l’armée de l’air, elle sut qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps avant qu’on ne la dessaisisse du contrôle des opérations.” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “L’homme frisé l’attendait, assis sur une petite chaise de jardin. Il jouait distraitement avec le porte-clefs la chambre, perdu dans des pensées lointaines. Maya s’approcha et lui toucha l’épaule de la main. Il leva les yeux et son regard s’éclaircit. « Par quoi allons-nous commencer ? » demanda-t-elle. « L’incendie » dit-il. « Racontez-moi ».” (Juliette Sabbah)

samedi 3 mars 2012

Page 4 (Juliette Sabbah)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 4 du texte de Juliette Sabbah.]



Maya se rendait bien compte qu’elle était en train de réaliser ce qu’elle cherchait précisément à éviter : exécuter les ordres de ce Boulier qu’elle était censée fuir. Mais c’était comme si, depuis le BZZZZ de l’avion, elle s’était sentie aimantée par cet homme frisé comme un mouton. Elle sentait par ailleurs qu’à l’hôtel du Dauphin, les masques allaient tomber. Peut-être finirait-elle même par connaître le nom de l’inconnu…

Ils entrèrent dans le hall de l’hôtel baigné d’une lumière lugubre. En fait d’animaux aquatiques, une unique tortue somnolait au fond d’un aquarium placé dans un coin. Maya déglutit, mal à l’aise.
« On aurait mieux fait de camper », grommela-t-elle, espérant vaguement qu’adopter une attitude bougonne lui remonterait le moral. Elle récupéra une clef, attachée à un porte-clefs dont la forme lui rappela le médaillon scarabée de son compagnon de voyage. « Il y a une vue sur le jardin ? » s’entendit-elle demander, se sentant aussitôt ridicule. Un jardin, comme si quelque chose pouvait pousser sous ce soleil de plomb. « Bien sûr madame » lui répondit le réceptionniste avec un sourire. « Et la piscine se trouve au dernier étage ».

La chambre de Maya se trouvait au 3e étage de l’hôtel du Dauphin (elle se demanda furtivement si le dit dauphin se trouvait dans la piscine…) Elle s’assit sur son lit en essayant de remettre de l’ordre dans ses idées : l’avion qui secouait, le Boulier, le vrombissement qui lui faisait invariablement monter des sueurs d’angoisse. Le téléphone sonna, elle décrocha : « C’est moi », résonna à ses oreilles la voix de l’homme frisé. « Venez dans ma chambre, je vais vous expliquer ce que je fais là, vous raconter l’histoire du scarabée et du Boulier. Mais en contrepartie, vous devez me dire comment vous avez échappé à l’incendie ».

Maya garda le combiné en main quelques instants. Elle hésitait. Elle ne voulait plus parler de l’incendie. Mais en même temps, il lui fallait éclaircir toutes ces questions, en savoir plus sur le Boulier et comprendre pourquoi il la persécutait – comment il voyait tout ce qu’elle faisait, comme Big Brother épiant ses sujets à travers un écran de verre… Les dés étaient jetés ; il fallait s’expliquer. « Retrouvons nous plutôt devant la piscine », conclut-elle.

Maya sortit de sa chambre, et donna un tour de clé. Elle dit tourner dans ses doigts le porte-clés en forme de scarabée et se promit de demander à son curieux compagnon des explications à ce sujet. Elle voulait en savoir davantage avant que ses yeux ne se ferment sous l’effet du décalage horaire. Elle devait aussi contacter sa famille, pour les prévenir de l’incendie quia avait ravagé la maison. Sa famille indienne se souviendrait-elle de Maya ? Elle n’avait pas voulu les voir pendant toutes ces années, alors qu’il aurait suffi de prendre un avion, songea-t-elle. L’incendie était en quelque sorte arrivé à point nommé. Quand elle arriva au bord de la petite piscine de l’hôtel, un croissant de lune était déjà visible dans le ciel.



(à suivre)

Juliette Sabbah

Page 4 (Julien D.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 4 du texte de 008 dont Julien D. assure la rédaction, en l'absence de 008.]

Christobal ne s’était absenté qu’une seconde. Une seule. Une petite. Il avait tourné la tête, attrapé son café et lors de ce fugace instant – une seule seconde, ou peut-être deux… tout au plus –, quelque-chose avait changé sur l’écran. Quelque-chose avait disparu de l’écran de contrôle. Il était là, qui pulsait tranquillement à la périphérie de son champ de vision, presque sur le rebord et pouf… Christobal examina l’écran de haut en bas, de gauche à droite. Il effectua un balayage minutieux, c’est en tout cas ce qu’il dirait si on l’interrogeait – la réalité ressemblait plus à une panique oculaire, succession de regards strabiques et paniqués. Sa main se crispa sur la souris, il déplaça le pointeur dans tous les sens au cas où l’écho se serait caché au dessous. Non.
Plus
Il souffla, prit une gorgée de café, manqua de s’ébouillanter, manqua de s’étouffer et finit par laisser sortir la boisson qui fut rapidement absorbée par sa chemise. On disait de lui qu’il était du genre nerveux et maladroit. On se trompait, c’était bien pire. Il fallut que la caféine agisse pour que le contrôleur se décide enfin à prendre les plans de vol, les indicateurs, la météo, l’horoscope, le programme télé et l’annuaire en ligne, bref, tout ce qui était à même de lui donner une quelconque idée de l’appareil qui venait de disparaitre et ce qui avait bien pu arriver.
« Une seule une seule une seule seconde, une seconde… ». Il psalmodiait à voix basse son mantra façon Coué en tremblant de plus belle. Dans la salle, personne ne semblait avoir remarqué son manège. Las, le fruit de la connaissance était sur une branche bien trop haute pour ses jambes flageolantes. En désespoir de cause, il finit par décrocher son combiné téléphonique et composer un numéro. Il allait devoir l’appeler Elle.

La nervosité avait atteint son paroxysme. Ça le grattait de partout, ça le piquait et le café sur sa chemise le brulait. Il avala difficilement sa salive alors qu'il tapait les derniers chiffres. Depuis que Christobal travaillait ici, il n'avait du lui parler que trois fois, si l'on excepte les saluts discrets - mais respectueux - qu'il lui adressait lorsqu'il la croisait dans les couloirs. Elle, elle ne le regardait pas. Que voulez-vous, c'est comme ça avec les êtres supérieurs.
Elle était une légende à l'aéroport de Santiago. A la suite à un grand nombre d'erreurs d'aiguillage, un désordre constant et l'étroitesse des pistes, l'aéroport avait progressivement été déserté par les grades compagnies internationales qui lui préféraient celui plus pratique de Valparaiso. Ca avait jasé en haut lieu. On s'était étonné de ce qu'une capitale d'un pays comme le notre ne puisse accueillir de vol direct pour Sydney, Tokyo ou On-ne-sait-quelle-ile-du-pacifique. Bref, on l'avait envoyé. d'étranges histoires couraient sur elle. On la disait descendante des prêtres incas. D'autres pensaient plutôt à une sorte de super agent qui avait été formé par la CIA. D'autres encore avaient émis la certitude qu'il s'agissait simplement de la maîtresse du ministre des transports. Il y avait d'autres histoires, plus sombres et farfelues. Lorsqu'on l'avait vu arriver, certains s'étaient permis des réflexions déplacées, des familiarités excessives. Ils avaient vite disparu. a la cantine, la rumeur apparut qu'elle les avait sacrifiés aux dieux Cargo encore vénérés en nouvelle-guinée, une offrande propitiatoire coulée dans le béton des pistes flambant neuves. Depuis son arrivée, on filait droit. On la craignait. On la vénérait. Certains extrémistes lui avaient installé une chapelle dans un ancien placard d'entretien. Un petit autel tout simple avec une bougie et une statue de la madone taillée dans une pierre noire. On venait lui faire des offrandes dans l'espoir d'un quelconque avancement, d'une promotion. Réalité ou non, on avait rasé les bosquets aux alentours de l'aéroport pour créer de nouvelles pistes, les avions s'étaient remis à bourdonner dans le ciel de la capitale et les guichets de nouvelles compagnies internationales avaient massivement refleuri. L'aéroport avait retrouvé sa place de numéro un.
Pendant ce temps, Christobal avait compté cinq bips. Personne n'avait répondu. Plus que trois et il se sentirait le droit de repasser le problème à quelqu'un d'autre, un subalterne qui se chargerait directement de lui expliquer. Encore deux. Elle ne décrochait toujours pas. Peut-être était-elle quelque-part dans les couloirs. Non, c'était un numéro de portable. Une. Il y était presque quand soudain:

"QUOI!"
Une main fine se saisit du téléphone. Un diamant cerclé d’or éparpilla quelques reflets irisés sur les murs du couloir. C’était une belle journée de printemps, de celles où rien de grave n’arrive, mais ça, elle n’en avait à peu près rien à foutre. Elle savait bien que les pépins n’attendaient pas que les pommes soient mûres. «QUOI» aboya-t-elle en décrochant. Un bredouillement tenta de se faufiler hors de l’enceinte et de ramper le long de son canal auditif. C’était tout à fait irritant. Elle s’arrêta. «SOYEZ PLUS CLAIR, ARTICULEZ !» Elle avait toujours la parole majuscule.

Ses talons claquèrent de plus belle. Elle fit élégamment voler ses cheveux derrière son épaule gauche.

"COMMENT ÇA PERDU, ON NE PERD PAS UN SIGNAL CHRISTOBAL. C'EST-A-DIRE ? UNE SECONDE ? CHRISTOBAL JE ME FICHE DE VOS EXCUSES, IL N’Y A PAS DE SECONDE QUI TIENNE. J’EN AI ASSEZ DE VOS EXCUSES, ALLEZ AU FAIT ! DES FAITS ! PAS DES METAPHORES ! ET PLUS VITE QUE ÇA !"

Elle avait rapidement compris la situation. C’était son job. Elle était une sorte de super ordinateur. Elle se dirigea comme une flèche vers un hangar de service où l’attendait une voiturette électrique. C’était son job. Elle se voyait bien en microprocesseur dernière génération, donnant des ordres à tout un système bricolé maison. C’était à peu près tout ce qu’elle tolérait comme métaphore. Claire et efficace comme un circuit intégré. Un aboiement attira l’attention d’un manutentionnaire, Un regard suffit à lui signaler son boulot. Impulsion. A l’autre bout du téléphone, ça tremblait toujours aussi fort. Son timbre changea, elle se radoucit. Il ne fallait pas que l’autre fasse une connerie avant qu’elle arrive. Et comme ça, il arrêterait peut-être de se justifier... Elle synthétisa la situation :

Mardi 17 avril, 15h37-15h57, vol Sidney-Santiago disparu des écrans. Défaillance ? Probable mais pas sur. Horaire d’arrivée prévu : 19h45. Contact quelconque ? Pas encore. Disparition des écrans : environ 3000 km du point d’arrivée, survol Pacifique.

Ça jactait dans tous les sens. La frénésie avait pris le sommet de la tour de contrôle. La panique de Christobal avait contaminé tout le monde. Il y eut un moment trouble où tout le monde se haranguait pour un oui pour un non, pour le café renversé, pour l’inattention et les résultats du match de foot de la veille. Le superviseur était particulièrement remonté. Il en voulait à Christobal de ne pas avoir été consulté avant, ce qui aurait certainement prouvé une vague capacité de réflexion chez le contrôleur, mais nous avons pu constater que ce n’était pas vraiment le fort de notre ami. La situation avait atteint son point critique lorsque tout le monde avait appris qu’Elle se déplaçait jusqu’à eux. Tous devinrent alors méthodiques. On s’activa à rendre les pupitres présentables, on passa un coup de chiffon sur les écrans, on déconnecta les comptes facebook et le poker en ligne, on vida les cendriers et on ouvrit les fenêtres pour aérer, bref, on remit tout en place comme on pensait qu’Elle voulait que ce soit. Il y eut un léger flottement dans le trafic aérien, on laissa les pilotes seuls juges de leur comportement ; heureusement, aucun accident ne fut à déplorer. On pouvait déjà sentir sa présence dans les murs depuis dix minutes lorsqu’Elle débarqua. Tout le monde avait regagné son poste, les écrans défilaient, les contrôleurs se concentraient sur leurs données ; l’essaim accueillait sa reine dans le calme.

Le responsable s’approcha à pas rapides, suivi de Christobal. Tous deux avaient pris l’air contrit de rigueur et fixaient le bout de leurs chaussures.

La réprimande attendue ne vint pas. Elle ne viendrait que bien plus tard, quand on aurait éclairci le sort de l’appareil. Pour l’heure, la situation nécessitait des éclaircissements. Où était l’avion ? Lui était-il vraiment arrivé quelque chose ? Il était à peine 16h 30 et il pouvait bien finir par se montrer - Peut-être même serait-il à l’heure. Bref, personne ne savait rien, sauf ceux qui en savaient un peu, et ceux-ci ne manifestaient pas l’envie de proférer autre chose que des excuses.

« ALORS ? »

La perspective d’une petite apocalypse à soi s’écarte à mesure que l’on plaque, à même la surface de la Terre, de nouvelles grilles, succession de réseaux en pelure d’oignon ; succession physique, sociale, électronique et spirituelle. Modélisation d’objets selon des coordonnées précises, chaque point s’inclut dans le grand tout. Chaque altération de cet état, chaque action individuelle, chaque vague sur la mer de l’information se transforme inexorablement en happening télévisuel collectif ou, plus discrètement, vient grossir les pourcentages de quelques études statistiques.
Justement, son intervention à Elle avait changé la nature métaphysique de l’événement. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Ce qui avait disparu des écrans devait y retourner, d’une manière ou d’une autre. On avait embauché les meilleurs hommes pour veiller à cet état du monde et, à mesure que tous ces spécialistes s’enfonçaient dans une nuit qui s’annonçait longue, occupée par un méticuleux travail de recoupement, une tragédie de groupe s’était transformée en catastrophe internationale. Terminé l’instant où seul un témoin guettait l’oiseau de feu depuis la rive, le monde s’était invité à dîner et, déjà, une poignée de chaînes de télévision australiennes, latino-américaines et asiatiques s’étaient mises à produire et produire encore pléthore d’images d’illustration bricolées à partir d’ancien reportages. L’une avait récupéré les navires australiens des manœuvres militaires estivales et les avait réaffectés à la recherche de l’appareil. Tours de contrôles et étendues océaniques se fondirent en une sorte d’unique image quasi-subliminale qui criait de tous ses pixels « voici la tragédie du jour » dans les cuisines, les salons et les chambres pour la plus grande joie des téléspectateurs…




(à suivre)

Julien D.

Page 4 (Alban Orsini)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte d'Alban Orsini]

Mes très chers amis.

Il semble que le ciel se soit quelque peu découvert et je suis très heureuse que les conditions deviennent de nouveau favorables.
Je vais vous dire ce que je vois ou plutôt je vais vous raconter un de mes rêves, cela ne durera pas longtemps.
Je ne suis pas du genre à beaucoup rêver.
Ou du genre à m'étendre sur mes utopies.
Mais.
J'ai rêvé que j'étais oisive.
J'ai rêvé que je n'étais rien ou que je ne produisais rien.
J'ai rêvé que l'on m'avait mise à la tête d'un projet de jardin botanique et que je faisais tout mon possible pour le mener à bien. J'ai rêvé que cet objectif occupait toute ma vie (quelle belle métaphore) et que certaines personnes tentaient de me mettre des bâtons dans les roues, ce qui me rendait triste et vulgaire. J'ai rêvé que j'étais loin de vous mes amis. J'ai rêvé que je ne faisais rien pour vous. Quelle étrange impression d'être à ce point inutile : j'ai rêvé que j'étais devenue égoïste, que seule ma pomme comptais. J'ai rêvé que je ne travaillais plus pour vous. J'ai rêvé que vous ne comptiez plus pour moi. J'ai rêvé que je vous abandonnais.
Quel drôle d'idée, quelle drôle de chose, quelle drôle de vue, quel drôle de rêve que ce rêve-ci : un rêve qui me montre tout ce que je ne souhaite pas être.
Et puis il y avait cette tortue. J'ai rêvé d'une tortue. Dans la cosmogonie chinoise, le monde est porté par quatre éléphants, ces mêmes éléphants étant portés par une tortue. Quelle belle image que cette image-là car c'est bien au travers de ce rêve que je vous le dis : je veux porter mon pays, je veux être votre socle.
Et ce n'est pas un discours vide de sens, le discours d'un étranger venu dont ne sait trop où et qui ne connaîtrait rien de vos préoccupations comme vous savez qui : non, c'est de la franchise, c'est de la promesse. C'est une direction. Ce discours sera notre boussole commune.
Bien sûr que la bataille sera longue, bien sûr que certains voudront me faire taire : mais ce projet sera mon jardin botanique et je ferai en sorte de l'amener au-delà de mes rêves, des vôtres propre et de réussir. Je le ferai pour mon pays.
Je le ferai pour vous. Pour vous tous.

Mais rentrons dans le vif du sujet : sortons quelques organes de cette doxa qui nous encombre et je dis avec une bouche des plus déterminées mais sans maquillage et un scalpel : "nous" mais je pense "vous" ou "moi" ou encore "ensemble", "cotillons", "soulèvement", "fanfreluches" et "fêtes épaisses" pour "corps électoral", "quorum", "référendums" et "force de propositions".
Voici pour vous un peu plus dévoilés, quelques points clés de mon nouveau programme et qui s'articulent autour d'une utilisation raisonnée du fascisme pour le bon déroulement d'une vie placée sous les meilleures hospices. Je dis "oui", je dis "non", vous dites "pourquoi", je réponds "parce que", vous avez les questions, j'ai les réponses, vous êtes l'oreille, je suis la voix.
J'assume pleinement tout ce que je m'apprête à dire : je suis une femme responsable, j'ai des arguments et je sais qu'ils sont bons et doux. Je peux les démouler et les démontrer. On peut les démonter que je les recollerai. J'assume la responsabilité de mes actes et de mes paroles aussi bien sur un plan politique, moral, qu'historique. Que l'on ne m'accuse pas de me dérober : je ne suis ni glissante, ni fuyante : je n'aime pas l'huile. Je suis dressée devant vous, fière et plus que jamais décidée. Je n'ai nul besoin de soutien : mes seins tiennent tout seul et je ne cherche pas à vous convaincre avec eux.
Ce pays a besoin d'un renouveau tant il ne peut plus continuer de se construire sur ses acquis qui n'en sont plus depuis longtemps tant trop se sont déjà servis. Trop de présidents chiliens se sont succédés à sa tête aussi et surtout. Cela ne peut plus continuer éternellement : nous sommes les seuls à pouvoir diriger notre pays et cela grâce, notamment, à la mousse qui pousse sur les arbres. Voulez-vous vraiment que cette nation soit laissée entre les mains d'étrangers qui sentent l'arnaque et la cupidité ? Souhaitez- vous sincèrement que vos intérêts soient défendus par des personnes qui n'ont aucune connaissance du terrain ? De notre terrain ? Ne les laissons pas dicter nos lois, ne les laissons pas s'enrichir avec notre argent ! Notre sueur n'est pas la leur : nous sommes d'ici, d'où proviennent-ils ? Qui le sait ? Ils ne font jamais que récolter le fruit de notre labeur _ ils se servent _ et amassent les gains comme les bousiers la merde. Nous nous sommes battus pour ce pays, nous avons des droits. Alors bien sûr, certains tenterons de m'opposer à cette idée celle selon laquelle les chiliens représentent une opportunité dirigée vers les Etats-Unis. Les Etats-Unis ne sont en rien un abri mais un leurre ! Ils ne nous font pas une fleur en nous envoyant les chiliens, non, ils nous condamnent pour mieux nous posséder ! Ils l'ont déjà fait dans d'autres pays ! Ils ont leurs raisons, mais ce ne sont pas les nôtres ! N'oublions pas que le miel est donné par un animal qui peut piquer. La manne américaine est la vaseline des enculeurs du peuple ! Méfions-nous et ne baissons pas la garde !
Les chiliens, je vais vous dire, ne servent à rien. Il suffit de regarder du côté de leur nourriture ou bien de leur littérature : ils n'ont aucun goût. L'empenada, quelle blague ! C'est un mirage de spécialité culinaire pour touriste stupide. L'empenada n'est même pas chilienne mais espagnole : ils l'ont simplement adaptée tellement ils n'ont aucun talent. Demandez à un français ce qu'il connait de la cuisine chilienne et nous verrons bien : il répondra "ah ah" et vous comprendrez "oh oh" ! L'asado, aucun commentaire. Les chiliens se contenteraient bien assez d'excréments parce qu'ils ne connaissent que cela. C'est si frontalement inexistant. Et leur littérature... Un pays sans auteurs est un mirage de pays. Ah non, Bolaño n'est pas chilien mais mexicain de cœur et d'esprit donc mexicain à part entière, autant que Fresán qui n'est plus argentin pour un sous mais lui aussi mexicain. Qui d'autre ? Jodorowski est un affabulateur sûrestimé qui filme et écrit ses rêves de fous comme n'importe qui pourrait le faire avec un minimum de talent et d'argent et donc de drogues. Neruda... Nerruda, franchement, qu'ai-je de plus à en dire que je n'ai déjà dit sur lui ? Je ne veux plus en débattre. Les pays se fabriquent les héros dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin. L'opportunisme a fait ses classes et le Chili s'en est fait une spécialité comme Venise pour les masques et le carnaval et les amoureux et les eaux douteuses et les ponts qui cachent des choses. Voudriez-vous sincèrement être encore dirigés par un peuple qui ne sait pas écrire ?

Et la mauvaise écriture des Chiliens n'est rien encore : ils veulent tout de nous ! Ne nous laissons pas déborder par l'envahisseur chilien, ne fléchissons pas ! Ayons-les à l'œil : ils ne méritent que ça ! Ils en veulent à notre argent, à notre culture et à notre couverture sociale ? Et bin on va leur expliquer la vie, moi je vous le dis, à ces rififi de Chiliens ! Ils se répandent avec leurs odeurs chiliennes primaires et leurs bouches édentées grossières et toutes rafistolées de Chiliens : ils sont si laids, ils ressemblent à des bêtes, des chiens _ je n'aime pas les chiliens_ et comme les chiens ils se reproduisent entre eux et se reconnaissent à l'odeur de leurs fesses et leurs fèces. Leurs femmes sont surfécondes et enfantent les êtres difformes et répugnants qui feront les nouveaux chiliens et qui se reproduiront à leur tour dans le noir à la façon des vers. Leurs enfants faméliques envahiront les rues et mangeront nos enfants en prétextant des jeux : nous pouvons déjà compter les cadavres dans les rues dans lesquelles ils déambulent le regard blanc et révulsé et avide et quand ils ne disent pas : "veux-tu jouer avec moi", ils s'ont occupés à dévorer du regard ce qu'ils dévoreront bientôt. Et puis ils viennent avec leur très mauvaise nourriture de Chiliens, de la nourriture empoisonnée qu'ils nous imposent. Et leurs habits de Chiliens qui soi-disant sont mieux que ceux de Nike, alors qu'ils sont tissés avec les poils et les cheveux de nos morts _ je n'aime pas les Chiliens. Et leurs technologies de Chiliens. Et leurs calculatrices de Chiliens. Et leurs consoles de jeux chiliennes. Et leurs ordinateurs chiliens avec leur Wi-Fi chilien et leurs clés USB chiliennes. Et leurs opérateurs de téléphonie mobile chiliens. Et niveau bouffe, j'y reviens, d'abord l'asado c'est peut-être totalement carrément argentin ! Ah ah ! Pouët pouët on ne la ramène pas hein ? Je suis le changement. JE suis le changement. JE, MOI, MOI, MOI, personne d'autre que moi _ j'ai le pouvoir, c'est moi, MOI, MOIMOIMOIMOIMOIMOIMOIMONMOIMONMOIMOI je veux gouverner, MOIMOI, je suis une femme, c'est MOI ! MOUAAAAAAAAAÂÂÂÂ ! Mais y'a les chiliens, eh oui, et ils ont de ces idées derrière leur grosse tête laiiiiiiiiiiiiide de chiliens et des manières de faire, des manières de Chiliens si vous saviez, que le changement, et bien, il est pas facile facile, on a des bâtons dans les roues, des branches d'arbousier, chaque jour, des bâtons d'arbousier de la taille des manières des Chiliens : gros et tordus comme le monde qui est porté par des éléphants et la... je ne les veux pas. Personne ne les veut. Je déteste les Chiliens, je n'aime pas les Chiliens, MOIMOI.
Non mais ! Ça va oui ? C'est bon là eh oh ralala ! Pof, pof, pof, allez allez, dehors les Chiliens... DEHORS LES CHILIENS !!!! Alors l'autre jour j'étais sortie, toute belle comme à mon habitude, toute pimpante quoi, avec le rouge à lèvres carmin et la petite jupette qui fait bien à ras les genoux, et je me promenais, tranquille et fraîche, avec mon petit panier qui dodelinait gentiment dans ma main, et là deux frustres paysans m'accaparent comme ça, comme si de rien n'était, genre : "bonjour madame" tout ça "fait bin bin joli hein" lalala "oh oui dites donc" et là _ paf_ ils me prennent en levrette, par derrière, alors je leur dis "non" puis "non mais oh ça va pas bien là" et "oh la la, tout de même" et "c'est pas bientôt fini oui ?!"et puis bon voilà, j'ai baissé les bras parce qu'ils avaient raison : il faisait ben bin joli ce jour-là. Alors une fois leurs petites affaires terminées, je pars en courant, je laisse tomber le petit panier qui ne dodeline plus du tout dans ma main, je me nettoie la minette dans la rivière poissonneuse, je me souviens entre temps que je suis à la tête d'un projet de jardin botanique parce que j'ai passé l'année dernière très justement le concours national des paysagistes nationaux et que je l'ai réussi du premier coup et que j'ai de ce fait des obligations et c'est comme ça que je suis devenue femme politique. Alors je me présente au Sénat, je signe le papier, et me voilà sénatrice. Parce que c'est pas compliqué d'être sénatrice hein. Ils te font juste passer un concours en te posant deux questions : "Vous savez construire une cabane ?" et " Vous savez que la mousse qui pousse sur les troncs d'arbre indique le nord ?" et si tu réponds "oui" aux deux questions, ben je te le donne en mille : t'es sénatrice et t'as la belle voiture de fonction avé la cocarde en sus. Bon. Alors ils m'ont mis une jupe longue de vierge qui n’a pas l'air d'y toucher pour un sou, je leur ai raconté pour le viol et ils m'ont dit "ben t'as qu'à dire que ce sont les Chiliens qui t'ont fait ça". Alors je suis allé sur le balcon, j'ai dit : "Don't cry for me Argentina" avec les deux bras qui partaient à la kermesse alors que j'étais pas du tout en Argentine puis "The turtle is I never left you" et enfin "C'est ces deux conneaux de Chiliens qui m'ont fait le coup" et là ça a été la liesse que tu en peux plus et je suis devenue un véritable danger pour le président sortant et de fil en aiguille bé té, je suis là devant vous. Mais en fait c'est pour ma mère que je suis ici.
Pour que rien ne lui arrive rien. Que les Chiliens ne lui fassent pas de mal _ je n'aime pas les chiliens. Je pense à elle, je pense à vous : je tiens à vous protéger. Nous sommes un seul corps. Ce que je fais pour elle ou bien ce que je veux pour elle ou bien ce que je souhaite pour elle, je le fais, veux, souhaite pour vous tous ici réunis pour me voir. Ah ah _ Que je compte les jours, que je mange des pommes, ou que j'ai tué la tortue, on s'en fout.
Nous voulons le changement pour notre pays.
C'est une nouvelle ère qui se profile.
Je suis comme vous.
Nous désirons la même chose.
C'est maintenant que vous pouvez applaudir.
Applaudissez.

Arrêtez d'applaudir !
Arrêtez d'applaudir !
Je vous demande ardemment d’arrêter d’applaudir, et cela sur le champ ! Maintenant. Tout de suite. Arrêtez ! MOI. Je vous demande. MOIMOIMOIMOIMOI. MOIMOIMOI moimoimoi MOIMOIMOI ! Vous n'êtes pas au spectacle. Arrêteeeeeeeeeeeez d'applaudir ! Il n'y a pas de divertissement, ce n’est pas du divertissement, il n’y a jamais eu de divertissement. Vous n’êtes pas au spectacle. Où vous croyez-vous ? Chez Mémé ? Vous avez vu la Vierge ou quoi ? C’est la fête du slip c’est ça ? Ne pressentez-vous pas la terrible menace qui pèse sur vous comme les trois kilos pris après Noël et la bûche et le nain qui pousse la brouette ou scie du bois avec son sourire à la con et son chapeau à pompon ? Hein ? Les Chiliens vont voler notre pays, nous torturer, et une fois que nous serons bien fatigués, ils vont nous donner aux Américains qui eux-mêmes nous livreront aux Chinois pour qu'on nous transforme en cartes à puce ou en nourriture comme dans Soleil Vert.
Oui, c’est de torture dont je vous parle ! Oui, moi, je vous le dis, MOIMOIMOI moimoimoi MOIMOIMOI ! Dans l’cul la balayette ! On s’est fait avoir ! Je déteste les hommes qui font du jogging dans des bas de survêtement à gros élastique et qui ne mettent pas de sous-vêtements que ça fait chloquetchi-chloquetchi et ça à chaque foulée ! On va tous y passer si on ne fait pas quelque chose tout de suite avec les doigts et les poings et des pancartes qui disent « non » et des pavés et des cocktails Molotov et du papier crépon et des rubans qui tournoient ! Je n’aime pas les Chiliens. Parce que la torture, ça fait mal ! La torture, c'est pas une partie de plaisir, il faut le savoir ! On ne se fait pas torturer comme on joue au jokari! La tortue, ça peut détruire une vie autant que les dents et les muqueuses ! Oui oui oui ! La torture, c’est peu engageant et c’est douloureux ! Faudra pas v’nir pleurer et dire « ouille » après, non mais !
Puis : Mes adversaires me reprochent mon inconstance ? Je leur reproche quant à moi leur incompétence ! Je leur reproche leur inaction ! Exactement ! Je les toise et je leur dis : "je vous reproche votre inaction" ! Je leur reproche de ne pas y voir clair ! Je leur reproche un manque d’objectivité ainsi qu’un manque de lucidité ! Ils ne sont plus en phase avec la société qu’ils veulent représenter, poil au nez ! Leurs méthodes sont prévisibles et leurs actions tellement téléphonées (rime riche) ! Mais arrêtons deux minutes! Soyons sérieux ! Parce que je sais lire, moi, entre les lignes et les galimatias ! Je sais lire dans leurs yeux et je les défie : ils ne me terrorisent plus. Posons les bonnes questions. Recentrons le débat, voyons. Cela suffit ! Faisons le point, et faisons-le bien (rime pauvre) pour une fois. Soyons pertinents. Ils flagornent tant et tant. Nous nous sommes par trop égarés. Prenons le temps d'étudier toutes les possibilités. Je pense avoir été en pleine digression, j’ai besoin d’avoir ma propre maison. Je vacille. Je me sens mal. Ma fille. Où est-elle ? Quelqu’un a mis du poison dans mon verre, appelez mon conseiller, aaaahhhhhhhhhh, appelez David Lhomme, dites-lui que je l’adoube. Dites-lui : « David Lhomme, dans sa très grande mansuétude, elle t’adoube ». Adoubez-le ! Adoubez David Lhomme ! Adoubez-le ! Adoubez-le ! Adoubez David Lhomme ! Adoubez-le ! Adoubidoubidoubidou waaah ! Adoubez-le ! Adoubez-le ! Adoubez-le !
Adieu. J’ai bien travaillé.
Off.

Le texte qui suit constitue mon testament.

Ceci est mon testament, voilà mon testament, mon testament est juste dessous. Là, c'est mon testament.

Je soussigné, MOI, Moi, né le (date de naissance), à (lieu de naissance), demeurant à ce jour (adresse du domicile) déclare priver M. Lhomme, David, né le (date de naissance), à (lieu de naissance), demeurant à ce jour à (adresse du domicile) de tout droit à ma succession, à l'exception de la réserve prévue par la loi dans l'hypothèse où je n'aurais plus aucun descendant en vie à la date de mon décès, ce qui est le cas puisque je n'ai plus aucun descendant en vie à la date de mon décès.
Ce testament révoque toutes les donations de biens à venir consenties à son profit.
Bisous.
MOI Moi.

Je suis morte hier. La journée a été décrétée deuil national bien que mes opposants aient essayé de faire abroger cette décision. La mobilisation fut telle que le jour de mon décès est désormais férié. Youpi. Et puis il faisait beau alors tout le monde est descendu dans la rue dans une liesse. Le jour de ma mort est le plus beau jour de ma vie.
Une ombre au tableau concernant ma belle mort qui remet en cause toute mon existence même : comment ai-je pu être si crédule ? Comment ai-je pu être si manipulée et manipulable ? Ce n'était pas vrai que les Chiliens étaient mauvais, seul David Lhomme l'était. Comment ai-je pu ainsi me fourvoyer ? Comment ai-je pu être si aveugle ? C'est David Lhomme qui a versé le poison dans mon verre, certaines caméras de surveillance l'ont pris sur le fait. Il a commis son larcin et ça en pleine nuit : éclairé par la seule lumière de la Lune, il s'est dirigé dans la cuisine et a versé le poison dans ma bouteille de Muscat de Beaumes de Venise. Celle à peine entamée qui trônait dans le frigo du haut et que je gardais pour les moyennes occasions. Et ensuite il est parti comme si de rien n'était en sifflant "Somewhere, Over the Rainbow" ou bien "Moon River", on sait plus trop. Quelqu'un l'a vu faire en plus des caméras de videosurveillance. Quelqu'un l'a entendu. Quelqu'un a regardé au travers d'une serrure. Quelqu'un a des preuves de ça mais malheureusement un pot-de-vin a été versé et la bouche du spectateur scellée à jamais. Comment ai-je pu lui accorder ma confiance ? J'aurais dû me douter de quelque chose : il sentait si fort. Il faut toujours se méfier des hommes qui portent un mauvais after-shave. Un homme qui ne se soucie pas de ce détail finira par vous planter un couteau dans le dos. Surtout si vous êtes en politique car justement, en politique, tous les coups bas sont permis : ils sont même idéaux, comme le spleen. C'est une vérité. Des gens très intelligents ont déjà écrit sur ça.
Sans doute feront-ils une comédie musicale sur ma vie et j'espère que cet épisode sera fidèlement retranscrit pour permettre un final réussi. Dans une grande scène, on pourra voir la comédienne censée m'incarner, vaciller, se tenir le front, transpirer pour enfin tomber au sol avec une splendeur des plus raphaéliques. Elle fera pleurer le monde. Elles gagnera d'ailleurs un prix pour ça. Mais qu'ils ne transforment pas la réalité. Il faut que toutes les zones d'ombres soient éclaircies : n'est pas icône qui veut. Que l'on ne me fasse pas mourir d'un cancer de l'utérus ou de quelque chose de ce genre alors que j'ai bel et bien était empoisonnée. A la façon d'un Shakespeare et d'une tragédie de vengeur, la vengeance en moins. Quelque part, ce meurtre me sert à merveille : je vais être adulée pour une certaine postérité et avec un port altier: regardez-moi. MOIMOIMOIMOI, je bombe le torse. Ils vont faire une statue de cire à mon effigie. Je suis heureuse d'avoir ainsi été fauchée en plein ascension comme un Christ. Le peuple n'aura pas eu le loisir de vieillir avec moi, il ne m'aura pas vu déchue, voûtée, le corps accroché à une canne, sénile, faisant sous moi avec de la bave accrochée à mes lèvres comme un enfant à la main de sa mère, vieille et acariâtre comme jamais, et cela dans la déchéance d'une citerne inutile qui se déverserait sur rien. Non. Le peuple m'a vu défaillir lors d'un de mes discours les plus brillants. Toutes les télés du monde ont retransmis la scène. J'ai vu ce peuple. Qui me regardait, scotché par le flot de mes paroles, aimanté par mon magnétisme et mon charisme naturelle. Je les ai eus. J'ai réussi. Is sont à moi.
Et là-dessus, David Lhomme est venu m'arracher mon pouvoir pour en faire le sien et pire que tout, le partager avec les américains. Parce que ce n'est pas vrai que tout est la faute des Chiliens, on m'a trompé. Les Chiliens sont gentils, c'était David Lhomme le méchant depuis le début. Ainsi, dans tous mes discours, il convient de substituer au mot Chiliens, le nom de David Lhomme. Je n'aime pas David Lhomme. Je ne l'ai en fait jamais aimé mais je ne le savais pas. D'un grand malheur est venu la prise de conscience.
On m'a dit que certains de mes organes avaient été prélevés pour être greffés sur des malades : j'en suis plus qu'heureuse ! C'est un grand honneur pour ces patients, et une grande chance pour moi de savoir que mes morceaux vont me survivre.
Une dernière fois donc, je vous embrasse. Puisse la métempsycose me permettre de renaître ailleurs.
Votre.

(à suivre)

Alban Orsini

Page 4 (Charles M.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 4 du texte de Charles M.]


Se retirer en lui-même pour laisser passer l'orage n'aboutirait à rien. Il calcule et pressent également qu'un nouveau dialogue ne serait pas plus fructueux. Au risque d'aliéner totalement son désir, il se résigne à jouer.
Il lance les dés et fait huit. Six et deux. Il se lance. "Le passage de la combinaison "six-trois" à "six-deux" nous indique, surtout après deux jets de suite à "neuf", une menace de dégradation lente, la perte progressive d'un état de stabilité. Le six, qui reste constant, présume un socle fiable et pour le moment inattaqué. La corruption vient des marges, s'attaque au point le plus faible, dissimulée, ne se révélant qu'une fois devenue inévitable." Il marque une pause, sans lever les yeux vers elle, pour sentir son sourire timide comme on imagine frémir les feuilles d'un arbre. Perdu dans ses métaphores botaniques, il ne remarque qu'au dernier moment deux petits insectes passer à toute allure derrière l'aquarium. Alors qu’il allait reprendre, sa bouche s'assèche soudainement.
La danse des ombres portées par les algues de l'aquarium pare la pièce d'incessantes ondulations. Absolument certain d'avoir perçu le mouvement rapide de deux insectes zigzaguant en toute impunité, il se lève d'un bond vers l'angle de la pièce, renversant une petite table basse. Il évite de marcher sur son téléphone ou sur l'assiette de fruits offerte par l'hôtel qu'il vient de renverser, glisse sur le collier de perles qu'elle a laissé tomber là puis s'écrase assez lamentablement sur la moquette.
Il reprend ses esprits et se tourne vers elle, encore un peu confus. Elle se retient à peine puis éclate de rire, la joie brute qui éclaire ses yeux lui faisant oublier de se vexer. Il partage son amusement et décide un abandon temporaire de sa chasse aux insectes. Peut-être est-il encore temps de sauver ces quelques heures à venir, de délaisser les insectes et les dés pour passer un bras derrière sa taille, dont la découpe dans le contrejour de la lampe de chevet l'affole un peu.
Mais elle esquive sa pensée comme elle aurait esquivé son bras, s'il l'avait tendu, et regarde par la fenêtre comme pour y chercher le matin ou bien le soir. L'écho de son rire persiste dans un léger soulèvement de ses épaules. Sa beauté l'écoeure autant qu'elle l'éblouit. Je voudrais, pense-t-il, m'approcher de toi sans être vu et vivre dans ta splendeur come une mouche contre une ampoule à peine allumée, à attendre une chaleur suffisante pour y griller pleinement. Elle a encore quelques heures à tuer et le regarde avec la douceur sauvage d'un ogre attendri.


(à suivre)

Charles M.