mercredi 29 février 2012

Episode 18

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “La danse des ombres portées par les algues de l'aquarium pare la pièce d'incessantes ondulations. Absolument certain d'avoir perçu le mouvement rapide de deux insectes zigzaguant en toute impunité, il se lève d'un bond vers l'angle de la pièce, renversant une petite table basse. Il évite de marcher sur son téléphone ou sur l'assiette de fruits offerte par l'hôtel qu'il vient de renverser, glisse sur le collier de perles qu'elle a laissé tomber là puis s'écrase assez lamentablement sur la moquette.” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Chan Li Poum hésita, puis, considérant que c’était là la raison de ses voyages, et encouragé par le succès du premier candidat, marcha vers le greffier, se présenta à lui et déposa au pied de l’intendant du monastère un peu de viande séché, offrande imposée pour être autorisé à concourir. Puis, il prit place au milieu de la place, ôta sa chemise, fit quelques étirements et prit enfin la posture de la guêpe au repos.

L’odeur de jasmin qui enveloppait les maîtres le déconcentrait, comme le déconcentrait la lente marche du ver de terre qui se traînait à ses pieds, comme le déconcentraient les regards que posait sur lui la foule assemblée. Le greffier frappa le petit gong posé à sa gauche. Chan Li Poum s'élança comme une flèche trop longtemps retenue. Il commença par des passes avec ses mains, certain d’impressionner ses spectateurs - puis fit peu à peu des gestes plus larges, imitant le vol imprévisible de la guêpe. Enfin, il conclut sa démonstration d’un envol de toute beauté. Il reprit la posture de la guêpe au repos et attendit le verdict des maîtres. Les trois vieillards échangèrent des regards entendus et, d’un même mouvement, pouffèrent de rire.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Et la mauvaise écriture des Chiliens n'est rien encore : ils veulent tout de nous ! Ne nous laissons pas déborder par l'envahisseur chilien, ne fléchissons pas ! Ayons-les à l'œil : ils ne méritent que ça ! Ils en veulent à notre argent, à notre culture et à notre couverture sociale ? Et bin on va leur expliquer la vie, moi je vous le dis, à ces rififi de Chiliens ! Ils se répandent avec leurs odeurs chiliennes primaires et leurs bouches édentées grossières et toutes rafistolées de Chiliens : ils sont si laids, ils ressemblent à des bêtes, des chiens _ je n'aime pas les chiliens_ et comme les chiens ils se reproduisent entre eux et se reconnaissent à l'odeur de leurs fesses et leurs fèces. Leurs femmes sont surfécondes et enfantent les êtres difformes et répugnants qui feront les nouveaux chiliens et qui se reproduiront à leur tour dans le noir à la façon des vers. Leurs enfants faméliques envahiront les rues et mangeront nos enfants en prétextant des jeux : nous pouvons déjà compter les cadavres dans les rues dans lesquelles ils déambulent le regard blanc et révulsé et avide et quand ils ne disent pas : "veux-tu jouer avec moi", ils s'ont occupés à dévorer du regard ce qu'ils dévoreront bientôt. Et puis ils viennent avec leur très mauvaise nourriture de Chiliens, de la nourriture empoisonnée qu'ils nous imposent. Et leurs habits de Chiliens qui soi-disant sont mieux que ceux de Nike, alors qu'ils sont tissés avec les poils et les cheveux de nos morts _ je n'aime pas les Chiliens. Et leurs technologies de Chiliens. Et leurs calculatrices de Chiliens. Et leurs consoles de jeux chiliennes. Et leurs ordinateurs chiliens avec leur Wi-Fi chilien et leurs clés USB chiliennes. Et leurs opérateurs de téléphonie mobile chiliens. Et niveau bouffe, j'y reviens, d'abord l'asado c'est peut-être totalement carrément argentin ! Ah ah ! Pouët pouët on ne la ramène pas hein ? Je suis le changement. JE suis le changement. JE, MOI, MOI, MOI, personne d'autre que moi _ j'ai le pouvoir, c'est moi, MOI, MOIMOIMOIMOIMOIMOIMOIMONMOIMONMOIMOI je veux gouverner, MOIMOI, je suis une femme, c'est MOI ! MOUAAAAAAAAAÂÂÂÂ ! Mais y'a les chiliens, eh oui, et ils ont de ces idées derrière leur grosse tête laiiiiiiiiiiiiide de chiliens et des manières de faire, des manières de Chiliens si vous saviez, que le changement, et bien, il est pas facile facile, on a des bâtons dans les roues, des branches d'arbousier, chaque jour, des bâtons d'arbousier de la taille des manières des Chiliens : gros et tordus comme le monde qui est porté par des éléphants et la... je ne les veux pas. Personne ne les veut. Je déteste les Chiliens, je n'aime pas les Chiliens, MOIMOI.
Non mais ! Ça va oui ? C'est bon là eh oh ralala ! Pof, pof, pof, allez allez, dehors les Chiliens... DEHORS LES CHILIENS !!!! Alors l'autre jour j'étais sortie, toute belle comme à mon habitude, toute pimpante quoi, avec le rouge à lèvres carmin et la petite jupette qui fait bien à ras les genoux, et je me promenais, tranquille et fraîche, avec mon petit panier qui dodelinait gentiment dans ma main, et là deux frustres paysans m'accaparent comme ça, comme si de rien n'était, genre : "bonjour madame" tout ça "fait bin bin joli hein" lalala "oh oui dites donc" et là _ paf_ ils me prennent en levrette, par derrière, alors je leur dis "non" puis "non mais oh ça va pas bien là" et "oh la la, tout de même" et "c'est pas bientôt fini oui ?!"et puis bon voilà, j'ai baissé les bras parce qu'ils avaient raison : il faisait ben bin joli ce jour-là. Alors une fois leurs petites affaires terminées, je pars en courant, je laisse tomber le petit panier qui ne dodeline plus du tout dans ma main, je me nettoie la minette dans la rivière poissonneuse, je me souviens entre temps que je suis à la tête d'un projet de jardin botanique parce que j'ai passé l'année dernière très justement le concours national des paysagistes nationaux et que je l'ai réussi du premier coup et que j'ai de ce fait des obligations et c'est comme ça que je suis devenue femme politique. Alors je me présente au Sénat, je signe le papier, et me voilà sénatrice. Parce que c'est pas compliqué d'être sénatrice hein. Ils te font juste passer un concours en te posant deux questions : "Vous savez construire une cabane ?" et " Vous savez que la mousse qui pousse sur les troncs d'arbre indique le nord ?" et si tu réponds "oui" aux deux questions, ben je te le donne en mille : t'es sénatrice et t'as la belle voiture de fonction avé la cocarde en sus. Bon. Alors ils m'ont mis une jupe longue de vierge qui n’a pas l'air d'y toucher pour un sou, je leur ai raconté pour le viol et ils m'ont dit "ben t'as qu'à dire que ce sont les Chiliens qui t'ont fait ça". Alors je suis allé sur le balcon, j'ai dit : "Don't cry for me Argentina" avec les deux bras qui partaient à la kermesse alors que j'étais pas du tout en Argentine puis "The turtle is I never left you" et enfin "C'est ces deux conneaux de Chiliens qui m'ont fait le coup" et là ça a été la liesse que tu en peux plus et je suis devenue un véritable danger pour le président sortant et de fil en aiguille bé té, je suis là devant vous. Mais en fait c'est pour ma mère que je suis ici.
Pour que rien ne lui arrive rien. Que les Chiliens ne lui fassent pas de mal _ je n'aime pas les chiliens. Je pense à elle, je pense à vous : je tiens à vous protéger. Nous sommes un seul corps. Ce que je fais pour elle ou bien ce que je veux pour elle ou bien ce que je souhaite pour elle, je le fais, veux, souhaite pour vous tous ici réunis pour me voir. Ah ah _ Que je compte les jours, que je mange des pommes, ou que j'ai tué la tortue, on s'en fout.
Nous voulons le changement pour notre pays.
C'est une nouvelle ère qui se profile.
Je suis comme vous.
Nous désirons la même chose.
C'est maintenant que vous pouvez applaudir.
Applaudissez.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “Une main fine se saisit du téléphone. Un diamant cerclé d’or éparpilla quelques reflets irisés sur les murs du couloir. C’était une belle journée de printemps, de celles où rien de grave n’arrive, mais ça, elle n’en avait à peu près rien à foutre. Elle savait bien que les pépins n’attendaient pas que les pommes soient mûres. «QUOI» aboya-t-elle en décrochant. Un bredouillement tenta de se faufiler hors de l’enceinte et de ramper le long de son canal auditif. C’était tout à fait irritant. Elle s’arrêta. «SOYEZ PLUS CLAIR, ARTICULEZ !» Elle avait toujours la parole majuscule.

Ses talons claquèrent de plus belle. Elle fit élégamment voler ses cheveux derrière son épaule gauche.

"COMMENT ÇA PERDU, ON NE PERD PAS UN SIGNAL CHRISTOBAL. C'EST-A-DIRE ? UNE SECONDE ? CHRISTOBAL JE ME FICHE DE VOS EXCUSES, IL N’Y A PAS DE SECONDE QUI TIENNE. J’EN AI ASSEZ DE VOS EXCUSES, ALLEZ AU FAIT ! DES FAITS ! PAS DES METAPHORES ! ET PLUS VITE QUE ÇA !"

Elle avait rapidement compris la situation. C’était son job. Elle était une sorte de super ordinateur. Elle se dirigea comme une flèche vers un hangar de service où l’attendait une voiturette électrique. C’était son job. Elle se voyait bien en microprocesseur dernière génération, donnant des ordres à tout un système bricolé maison. C’était à peu près tout ce qu’elle tolérait comme métaphore. Claire et efficace comme un circuit intégré. Un aboiement attira l’attention d’un manutentionnaire, Un regard suffit à lui signaler son boulot. Impulsion. A l’autre bout du téléphone, ça tremblait toujours aussi fort. Son timbre changea, elle se radoucit. Il ne fallait pas que l’autre fasse une connerie avant qu’elle arrive. Et comme ça, il arrêterait peut-être de se justifier... Elle synthétisa la situation :

Mardi 17 avril, 15h37-15h57, vol Sidney-Santiago disparu des écrans. Défaillance ? Probable mais pas sur. Horaire d’arrivée prévu : 19h45. Contact quelconque ? Pas encore. Disparition des écrans : environ 3000 km du point d’arrivée, survol Pacifique.” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “La chambre de Maya se trouvait au 3e étage de l’hôtel du Dauphin (elle se demanda furtivement si le dit dauphin se trouvait dans la piscine…) Elle s’assit sur son lit en essayant de remettre de l’ordre dans ses idées : l’avion qui secouait, le Boulier, le vrombissement qui lui faisait invariablement monter des sueurs d’angoisse. Le téléphone sonna, elle décrocha : « C’est moi », résonna à ses oreilles la voix de l’homme frisé. « Venez dans ma chambre, je vais vous expliquer ce que je fais là, vous raconter l’histoire du scarabée et du Boulier. Mais en contrepartie, vous devez me dire comment vous avez échappé à l’incendie ».” (Juliette Sabbah)


mardi 28 février 2012

Episode 17

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Il lance les dés et fait huit. Six et deux. Il se lance. "Le passage de la combinaison "six-trois" à "six-deux" nous indique, surtout après deux jets de suite à "neuf", une menace de dégradation lente, la perte progressive d'un état de stabilité. Le six, qui reste constant, présume un socle fiable et pour le moment inattaqué. La corruption vient des marges, s'attaque au point le plus faible, dissimulée, ne se révélant qu'une fois devenue inévitable." Il marque une pause, sans lever les yeux vers elle, pour sentir son sourire timide comme on imagine frémir les feuilles d'un arbre. Perdu dans ses métaphores botaniques, il ne remarque qu'au dernier moment deux petits insectes passer à toute allure derrière l'aquarium. Alors qu’il allait reprendre, sa bouche s'assèche soudainement. ” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “LLe greffier prit son pinceau, le trempa dans l’encrier et, d’un geste ample, inscrit sur le registre le nom du candidat, apposa le sceau de Maître Fi Chan sur l’attestation, souffla dessus pour faire sécher l’encre - et tendit le papier au lauréat, qui courut vers ses parents, qui l’attendaient derrière le saule, avec la foule des badauds. Le maître assis à droite de Fi Chan lissa sa moustache et murmura un mot au greffier, qui se leva avec cérémonie et lança: “Prochain candidat?” Pieds Nuageux poussa du coude Chan Li Poum: “C’est ton tour, petit scarabée! Montre-leur ton gongfu de la guêpe, qu’on rigole un peu!”” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Mais rentrons dans le vif du sujet : sortons quelques organes de cette doxa qui nous encombre et je dis avec une bouche des plus déterminées mais sans maquillage et un scalpel : "nous" mais je pense "vous" ou "moi" ou encore "ensemble", "cotillons", "soulèvement", "fanfreluches" et "fêtes épaisses" pour "corps électoral", "quorum", "référendums" et "force de propositions".
Voici pour vous un peu plus dévoilés, quelques points clés de mon nouveau programme et qui s'articulent autour d'une utilisation raisonnée du fascisme pour le bon déroulement d'une vie placée sous les meilleures hospices. Je dis "oui", je dis "non", vous dites "pourquoi", je réponds "parce que", vous avez les questions, j'ai les réponses, vous êtes l'oreille, je suis la voix.
J'assume pleinement tout ce que je m'apprête à dire : je suis une femme responsable, j'ai des arguments et je sais qu'ils sont bons et doux. Je peux les démouler et les démontrer. On peut les démonter que je les recollerai. J'assume la responsabilité de mes actes et de mes paroles aussi bien sur un plan politique, moral, qu'historique. Que l'on ne m'accuse pas de me dérober : je ne suis ni glissante, ni fuyante : je n'aime pas l'huile. Je suis dressée devant vous, fière et plus que jamais décidée. Je n'ai nul besoin de soutien : mes seins tiennent tout seul et je ne cherche pas à vous convaincre avec eux.
Ce pays a besoin d'un renouveau tant il ne peut plus continuer de se construire sur ses acquis qui n'en sont plus depuis longtemps tant trop se sont déjà servis. Trop de présidents chiliens se sont succédés à sa tête aussi et surtout. Cela ne peut plus continuer éternellement : nous sommes les seuls à pouvoir diriger notre pays et cela grâce, notamment, à la mousse qui pousse sur les arbres. Voulez-vous vraiment que cette nation soit laissée entre les mains d'étrangers qui sentent l'arnaque et la cupidité ? Souhaitez- vous sincèrement que vos intérêts soient défendus par des personnes qui n'ont aucune connaissance du terrain ? De notre terrain ? Ne les laissons pas dicter nos lois, ne les laissons pas s'enrichir avec notre argent ! Notre sueur n'est pas la leur : nous sommes d'ici, d'où proviennent-ils ? Qui le sait ? Ils ne font jamais que récolter le fruit de notre labeur _ ils se servent _ et amassent les gains comme les bousiers la merde. Nous nous sommes battus pour ce pays, nous avons des droits. Alors bien sûr, certains tenterons de m'opposer à cette idée celle selon laquelle les chiliens représentent une opportunité dirigée vers les Etats-Unis. Les Etats-Unis ne sont en rien un abri mais un leurre ! Ils ne nous font pas une fleur en nous envoyant les chiliens, non, ils nous condamnent pour mieux nous posséder ! Ils l'ont déjà fait dans d'autres pays ! Ils ont leurs raisons, mais ce ne sont pas les nôtres ! N'oublions pas que le miel est donné par un animal qui peut piquer. La manne américaine est la vaseline des enculeurs du peuple ! Méfions-nous et ne baissons pas la garde !
Les chiliens, je vais vous dire, ne servent à rien. Il suffit de regarder du côté de leur nourriture ou bien de leur littérature : ils n'ont aucun goût. L'empenada, quelle blague ! C'est un mirage de spécialité culinaire pour touriste stupide. L'empenada n'est même pas chilienne mais espagnole : ils l'ont simplement adaptée tellement ils n'ont aucun talent. Demandez à un français ce qu'il connait de la cuisine chilienne et nous verrons bien : il répondra "ah ah" et vous comprendrez "oh oh" ! L'asado, aucun commentaire. Les chiliens se contenteraient bien assez d'excréments parce qu'ils ne connaissent que cela. C'est si frontalement inexistant. Et leur littérature... Un pays sans auteurs est un mirage de pays. Ah non, Bolaño n'est pas chilien mais mexicain de cœur et d'esprit donc mexicain à part entière, autant que Fresán qui n'est plus argentin pour un sous mais lui aussi mexicain. Qui d'autre ? Jodorowski est un affabulateur sûrestimé qui filme et écrit ses rêves de fous comme n'importe qui pourrait le faire avec un minimum de talent et d'argent et donc de drogues. Neruda... Nerruda, franchement, qu'ai-je de plus à en dire que je n'ai déjà dit sur lui ? Je ne veux plus en débattre. Les pays se fabriquent les héros dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin. L'opportunisme a fait ses classes et le Chili s'en est fait une spécialité comme Venise pour les masques et le carnaval et les amoureux et les eaux douteuses et les ponts qui cachent des choses. Voudriez-vous sincèrement être encore dirigés par un peuple qui ne sait pas écrire ?” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “La nervosité avait atteint son paroxysme. Ça le grattait de partout, ça le piquait et le café sur sa chemise le brulait. Il avala difficilement sa salive alors qu'il tapait les derniers chiffres. Depuis que Christobal travaillait ici, il n'avait du lui parler que trois fois, si l'on excepte les saluts discrets - mais respectueux - qu'il lui adressait lorsqu'il la croisait dans les couloirs. Elle, elle ne le regardait pas. Que voulez-vous, c'est comme ça avec les êtres supérieurs.
Elle était une légende à l'aéroport de Santiago. A la suite à un grand nombre d'erreurs d'aiguillage, un désordre constant et l'étroitesse des pistes, l'aéroport avait progressivement été déserté par les grades compagnies internationales qui lui préféraient celui plus pratique de Valparaiso. Ca avait jasé en haut lieu. On s'était étonné de ce qu'une capitale d'un pays comme le notre ne puisse accueillir de vol direct pour Sydney, Tokyo ou On-ne-sait-quelle-ile-du-pacifique. Bref, on l'avait envoyé. d'étranges histoires couraient sur elle. On la disait descendante des prêtres incas. D'autres pensaient plutôt à une sorte de super agent qui avait été formé par la CIA. D'autres encore avaient émis la certitude qu'il s'agissait simplement de la maîtresse du ministre des transports. Il y avait d'autres histoires, plus sombres et farfelues. Lorsqu'on l'avait vu arriver, certains s'étaient permis des réflexions déplacées, des familiarités excessives. Ils avaient vite disparu. a la cantine, la rumeur apparut qu'elle les avait sacrifiés aux dieux Cargo encore vénérés en nouvelle-guinée, une offrande propitiatoire coulée dans le béton des pistes flambant neuves. Depuis son arrivée, on filait droit. On la craignait. On la vénérait. Certains extrémistes lui avaient installé une chapelle dans un ancien placard d'entretien. Un petit autel tout simple avec une bougie et une statue de la madone taillée dans une pierre noire. On venait lui faire des offrandes dans l'espoir d'un quelconque avancement, d'une promotion. Réalité ou non, on avait rasé les bosquets aux alentours de l'aéroport pour créer de nouvelles pistes, les avions s'étaient remis à bourdonner dans le ciel de la capitale et les guichets de nouvelles compagnies internationales avaient massivement refleuri. L'aéroport avait retrouvé sa place de numéro un.
Pendant ce temps, Christobal avait compté cinq bips. Personne n'avait répondu. Plus que trois et il se sentirait le droit de repasser le problème à quelqu'un d'autre, un subalterne qui se chargerait directement de lui expliquer. Encore deux. Elle ne décrochait toujours pas. Peut-être était-elle quelque-part dans les couloirs. Non, c'était un numéro de portable. Une. Il y était presque quand soudain:

"QUOI!"” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “« On aurait mieux fait de camper », grommela-t-elle, espérant vaguement qu’adopter une attitude bougonne lui remonterait le moral. Elle récupéra une clef, attachée à un porte-clefs dont la forme lui rappela le médaillon scarabée de son compagnon de voyage. « Il y a une vue sur le jardin ? » s’entendit-elle demander, se sentant aussitôt ridicule. Un jardin, comme si quelque chose pouvait pousser sous ce soleil de plomb. « Bien sûr madame » lui répondit le réceptionniste avec un sourire. « Et la piscine se trouve au dernier étage ».” (Juliette Sabbah)

lundi 27 février 2012

Episode 16

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Se retirer en lui-même pour laisser passer l'orage n'aboutirait à rien. Il calcule et pressent également qu'un nouveau dialogue ne serait pas plus fructueux. Au risque d'aliéner totalement son désir, il se résigne à jouer.” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Le long cou de tortue de Maître Fi Chan se plia davantage, si bien que ses longs sourcils noirs touchaient à présent ses genoux. Le candidat avait finit ses enchaînements et reprit la posture du tigre, les pieds légèrement écartés, face aux juges, les poings de chaque côté de la poitrine. Un long temps passa. Des gouttes de sueur se mirent à perler sur le dos du jeune paysan. Fi Chan dormait. Un jongleur, excédé par l’attente, lança avec force sa pomme sur la tête du candidat. La pomme fit un bruit de gong étouffé, qui tira Fi Chan de sa rêverie. Le vieux maître regarda à droite, à gauche, un peu perdu, comprit où il était et s’adressa au jeune paysan: “Bien, bien, c’est votre tour. Montrez-nous si vous êtes digne d’accéder à la première chambre de ShangriLa.” Le Maître qui siégeait à sa gauche se pencha à l’oreille de Fi Chan, qui l’écouta avec un air pénétré. Fi Chan se redressa: “Ah oui,eh, eh bien, félicitations!” Il se pencha sur le greffier qui était au pied de l’estrade: “Greffier, appose mon sceau sur le certificat de ce candidat, dont j’ai particulièrement apprécié le gongfu, qui n’est pas sans rappeler celui d’un jeune Woo.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Mes très chers amis.

Il semble que le ciel se soit quelque peu découvert et je suis très heureuse que les conditions deviennent de nouveau favorables.
Je vais vous dire ce que je vois ou plutôt je vais vous raconter un de mes rêves, cela ne durera pas longtemps.
Je ne suis pas du genre à beaucoup rêver.
Ou du genre à m'étendre sur mes utopies.
Mais.
J'ai rêvé que j'étais oisive.
J'ai rêvé que je n'étais rien ou que je ne produisais rien.
J'ai rêvé que l'on m'avait mise à la tête d'un projet de jardin botanique et que je faisais tout mon possible pour le mener à bien. J'ai rêvé que cet objectif occupait toute ma vie (quelle belle métaphore) et que certaines personnes tentaient de me mettre des bâtons dans les roues, ce qui me rendait triste et vulgaire. J'ai rêvé que j'étais loin de vous mes amis. J'ai rêvé que je ne faisais rien pour vous. Quelle étrange impression d'être à ce point inutile : j'ai rêvé que j'étais devenue égoïste, que seule ma pomme comptais. J'ai rêvé que je ne travaillais plus pour vous. J'ai rêvé que vous ne comptiez plus pour moi. J'ai rêvé que je vous abandonnais.
Quel drôle d'idée, quelle drôle de chose, quelle drôle de vue, quel drôle de rêve que ce rêve-ci : un rêve qui me montre tout ce que je ne souhaite pas être.
Et puis il y avait cette tortue. J'ai rêvé d'une tortue. Dans la cosmogonie chinoise, le monde est porté par quatre éléphants, ces mêmes éléphants étant portés par une tortue. Quelle belle image que cette image-là car c'est bien au travers de ce rêve que je vous le dis : je veux porter mon pays, je veux être votre socle.
Et ce n'est pas un discours vide de sens, le discours d'un étranger venu dont ne sait trop où et qui ne connaîtrait rien de vos préoccupations comme vous savez qui : non, c'est de la franchise, c'est de la promesse. C'est une direction. Ce discours sera notre boussole commune.
Bien sûr que la bataille sera longue, bien sûr que certains voudront me faire taire : mais ce projet sera mon jardin botanique et je ferai en sorte de l'amener au-delà de mes rêves, des vôtres propre et de réussir. Je le ferai pour mon pays.
Je le ferai pour vous. Pour vous tous.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “Christobal ne s’était absenté qu’une seconde. Une seule. Une petite. Il avait tourné la tête, attrapé son café et lors de ce fugace instant – une seule seconde, ou peut-être deux… tout au plus –, quelque-chose avait changé sur l’écran. Quelque-chose avait disparu de l’écran de contrôle. Il était là, qui pulsait tranquillement à la périphérie de son champ de vision, presque sur le rebord et pouf… Christobal examina l’écran de haut en bas, de gauche à droite. Il effectua un balayage minutieux, c’est en tout cas ce qu’il dirait si on l’interrogeait – la réalité ressemblait plus à une panique oculaire, succession de regards strabiques et paniqués. Sa main se crispa sur la souris, il déplaça le pointeur dans tous les sens au cas où l’écho se serait caché au dessous. Non.
Plus
Il souffla, prit une gorgée de café, manqua de s’ébouillanter, manqua de s’étouffer et finit par laisser sortir la boisson qui fut rapidement absorbée par sa chemise. On disait de lui qu’il était du genre nerveux et maladroit. On se trompait, c’était bien pire. Il fallut que la caféine agisse pour que le contrôleur se décide enfin à prendre les plans de vol, les indicateurs, la météo, l’horoscope, le programme télé et l’annuaire en ligne, bref, tout ce qui était à même de lui donner une quelconque idée de l’appareil qui venait de disparaitre et ce qui avait bien pu arriver.
« Une seule une seule une seule seconde, une seconde… ». Il psalmodiait à voix basse son mantra façon Coué en tremblant de plus belle. Dans la salle, personne ne semblait avoir remarqué son manège. Las, le fruit de la connaissance était sur une branche bien trop haute pour ses jambes flageolantes. En désespoir de cause, il finit par décrocher son combiné téléphonique et composer un numéro. Il allait devoir l’appeler Elle.” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “Maya se rendait bien compte qu’elle était en train de réaliser ce qu’elle cherchait précisément à éviter : exécuter les ordres de ce Boulier qu’elle était censée fuir. Mais c’était comme si, depuis le BZZZZ de l’avion, elle s’était sentie aimantée par cet homme frisé comme un mouton. Elle sentait par ailleurs qu’à l’hôtel du Dauphin, les masques allaient tomber. Peut-être finirait-elle même par connaître le nom de l’inconnu…

Ils entrèrent dans le hall de l’hôtel baigné d’une lumière lugubre. En fait d’animaux aquatiques, une unique tortue somnolait au fond d’un aquarium placé dans un coin. Maya déglutit, mal à l’aise.” (Juliette Sabbah)

samedi 25 février 2012

Page 3 (Juliette Sabbah)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte de Juliette Sabbah.]

L’homme frisé fit une légère pause, puis reprit tout en triturant machinalement son médaillon-scarabée : « Souvenez-vous, il y a quelques heures. Nous venions de dîner, et… » « Dîner, parlons-en », répliqua Maya. « Ce poisson infect m’est resté sur l’estomac ». « … et je dormais profondément. Enfin, du moins, en apparence. Les turbulences ont commencé et c’est alors que j’ai déclenché le bruit d’insecte ». Il appuya sur son scarabée. BZZZZZZZ ! Maya se boucha les oreilles. Pourquoi ce vrombissement lui rappelait-elle l’incendie ? Instinctivement, elle chercha son talisman dans son sac. « Vous avez encore bien des choses à m’apprendre ? », reprit-elle plus calmement, tandis que la voix de l’hôtesse priait tous les passagers d’attacher leurs ceintures en vue de l’atterrissage.
« Je vous le dirai une fois que nous serons arrivés », répondit l’homme. L’atterrissage se déroula le plus normalement du monde, sans recours aux parachutes ou aux toboggans d’urgence, aucune de toutes les catastrophes que Maya imaginait régulièrement quand elle prenait l’avion. L’appareil s’arrêta tranquillement près un champ, de sorte que Maya s’imaginait difficilement qu’elle allait débarquer à Delhi. Elle se demanda où elle pourrait continuer tranquillement la conversation avec l’homme et commença à réfléchir au choix d’un hôtel.
Maya et l’homme (qui, le réalisa-t-elle, ne s’était toujours pas présenté) sortirent de l’aéroport international. Ils écartèrent plusieurs rabatteurs de taxi en faisant mine de ne pas parler anglais et se demandaient quel moyen de transport emprunter, quand le portable de l’homme se mit à sonner. Il pâlit soudain, frissonna violemment (il devait pourtant faire 50 degrés dehors) et empoigna comme instinctivement son médaillon scarabée. « Vous ne répondez pas ? » demanda Maya, soudain inquiète. L’homme sembla se reprendre un peu et sortit le téléphone de sa poche. Une voix résonna, métallique, même Maya pouvait l’entendre. « Vous vous rendrez à l’hôtel du Dauphin pour y passer la nuit », distingua-t-elle nettement.
L’homme raccrocha l’appareil et esquissa un faible sourire. « Vous avez dû deviner de quoi il s’agit », murmura-t-il tandis que son sourire s’effaçait déjà. « Pas la peine de réfléchir pendant des heures », marmonna à son tour Maya pendant que l’homme fourrageait nerveusement de la main dans ses boucles. Ils se décidèrent pour un taxi jaune et vert, curieusement cabossé, et indiquèrent au chauffeur le nom de l’hôtel. Ce dernier inclina brièvement la tête et enclencha le contact.
Ni Maya et ni l’homme ne décrochèrent un mot dans la voiture. Si le chauffeur de taxi les avait regardés dans le rétroviseur, il aurait aperçu des statues de cire au visage figé dans une expression songeuse, comme envoûtés par un sort. Le taxi s’éloignait lentement de l’aéroport et se faufilait entre les motos, les vélos, les auto-rickshaws et les quelques vaches qui avançaient tranquillement au pas au milieu de la route. La circulation s’éclaircit finalement et les passagers aperçurent un panneau indiquant : « Dolphin Hotel, 1 km ».

(à suivre)

Juliette Sabbah

Page 3 (Julien D.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte de 008 dont Julien D. assure la rédaction, en l'absence de 008.]

La cinquième plongée du Veilleur se devait d’être décisive. Il savait que ses bras ne lui laisseraient pas accomplir d’autre tentative. La tortue malicieuse – il avait oublié son prénom – qui lui avait suggéré cette pêche peu banale s’ébattait le long de l’appareil, battant mollement de ses nageoires. A défaut d’une bonne idée, il décida de suivre l’instinct de l’animal. Il y avait du mouton chez ce veilleur dans son obstination à suivre des signes qui ne lui apportaient que peu de lumière. L’espace d’un instant, le doute l’étreignit Ne suivait-il pas les pas d’un quelconque esprit facétieux qui se serait amusé à le noyer ? Il n’y avait que peu de justice dans le monde des esprits – ou une justice bancale, du genre que les hommes ne pouvaient pas comprendre.
La preuve, par les ouvertures, il voyait tous ces gens prisonniers de l’oiseau d’acier qui bougeaient dans tous les sens. Chacun s’était saisi de ce qu’il avait trouvé à portée de main et qui auraient pu leur apporter une chance de salut. Il les voyait, la tête en bas, encore accrochés à leur siège, qui se passaient leur gilet de sauvetage autour du cou. D’autres serraient de petites croix ; Un autre encore avait préféré s’emparer d’un parachute. Une indécision totale s’était emparée de l’homme après qu’il se soit approché des hublots.
Puis les signes s’éclaircirent enfin, l’appareil disposait d’une autre ouverture. Le Veilleur posa ses mains sur la paroi métallique, chercha une poignée, la trouva, tira, et c’est à ce moment que tout s’emballa alors qu’en réponse la porte s’ouvrait. L’eau s’engouffra dans l’appareil et le chamane aspiré se dit attristé que les esprits lui avaient joué un bien mauvais tour.
Elle avait réservé ses heures à ses regrets, retranchée dans sa tour d’ivoire, au tout dernier étage de sa chambre, son gynécée. Elle s’était trouvé un parcours intime, pictogramme de l’abandon qu’elle traçait de ses pieds ; un cercle parfait délimitant son bocal qu’elle emplissait de la fumée acre de ses cigarettes. Téléphone en berne. Les Questions avaient déserté Greta, ces sales nuisibles avaient rampé sur la moquette et envahi les murs. Elles avaient séchés ses espoirs à la paroi, efflorescences en motifs de papier peint. Seuls quelques scarabées particulièrement caparaçonnés tentaient encore de l’approcher. Impudents, ils se faisaient sauvagement piétiner. Plus de questions pour Greta, elle enferma les dernières Interrogations à double tour dans une boite, y mis un cadenas et rangea le tout dans un coffre qu’elle avait au mur, là où se trouvaient déjà son chéquier, une poignée de dollars et la carte de crédit de Nils.

Le Fantôme des anniversaires passés, vieille femme décatie, vint relever sa jupe devant elle. Elle contempla le désastre, se plongeant avec délices dans des souvenirs qui faisaient mal, s’affalant enfin sur le canapé avant de pousser plus loin ses explorations douloureuses sous le scalpel du sommeil.

« Suis la flèche, oui, suis les signes » se répéta le Veilleur alors qu’il voyait enfin où voulaient en venir le Tanoué et ses envoyés. Un motif, une bande, une flèche sur le flanc de l’appareil. Le monde pouvait reprendre son sens. Le haut était toujours l’en-haut et le bas l’en-bas… Et au bout du chemin, il y avait cette autre porte sans serrure. Par l’ouverture, devant la lumière intérieure, se déroulait une scène d’un théâtre d’ombres. Un homme s’était levé qui en avait emmené quelques autres vers la sortie. Au loin, des flammes et devant eux, deux cerbères en uniforme qui tentaient de leur barrer le passage. L’homme n’avait rien d’Orphée et sur son visage se peignait cette expression enjouée de celui qui sait ce qu’il doit faire sans jamais regarder en arrière. L’air vint à manquer au Veilleur. Dans un dernier effort, il agrippa la poignée à deux mains, posa les pieds sur la carlingue et tira de toutes ses forces.

Il ferma les yeux Il était un arbre Il tirait sa puissance de ses racines ancrées dans la terre qui irradiait jusqu’à ses branches Grandir Grandir Déjà le monde entier cédait face à son inexorable redressement Il croissait il croissait de tous ses membres Ça y était la poignée tournait le battant se soulevait Puis tout céda Il se sentit partir en l’air partir en l’eau plutôt propulsé par un ultime coup de pied une violente remontée qui se finit époumonée alors qu’il tendait la tête vers les étoiles .
De sol, de sol, parlons-en! Igor était toujours sur son siège, en train de développer toutes sortes de nouvelles perspectives. Le monde marchait à l'envers, c'était presque une certitude. Puis il se décida à défaire sa ceinture. Déverrouillage - Tourbillon - Scrabble - Lombaires - crac, c'est à peu près ce qui lui traversa l'esprit avant qu'il ne percute le plafond en une gamelle façon Commedia dell'Arte. Magie de la pesanteur, le monde prit un nouveau sens à ses yeux: l'en-haut était le bas et l'en-bas était le haut. Et ça bougeait, ça s'agitait! Il secoua la chevelure - de sa voisine assommée - qui lui tombait devant les yeux et contempla le capharnaüm. Pas perdus, pas pressés, pas promis, pas vu pas pris, on n'y comprenait rien tant ça s'agitait!
"Jamais un coup de dé n'abolira le hasard." Aux moments décisifs, certains chantent de vieilles mélodies sétoises. D'autres se réfugient dans de lointains souvenirs ou voient leur esprit traversé d'impressions fugaces, de morceaux de phrases. "C'est très joli" se dit-il encore alors que la porte de l'appareil s'ouvrait enfin et que l'eau s'engouffrait avec violence, emportant tout sur son passage... "C'est joli, mais c'est vraiment stupide comme dernière pensée"...


(à suivre)

Julien D.

Page 3 (Alban Orsini)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte d'Alban Orsini]

Et je me suis réveillée avec cette étrange impression chevillée au corps que je venais de faire le plus triste des rêves, un rêve de mort, un rêve de pas finie. Une ébauche :

_ Au fusain ?
_ Une sanguine !
_ Montrez-moi...

La tête dans un étau comme si je l'avais plongée tout entière dans le réacteur d'un avion : hachée menu menu.

Je me souviens à peine de ce dont il s'agissait. Je crois que j'ai rêvé de mon ancienne vie. Ou tout du moins d'une partie de mon ancienne vie. Une vie dans laquelle je ne grandissais que par et pour le travail, un métier qui me tuait au fur et à mesure, une mesure qui étriquait dans un bocal, un récipient qui conscrivait, constrictor comme un serpent, un serpent mortel. C'était un cercle et dire qu'il était vicieux n'est que facile.
C'est qu'il m'en a fallu du courage pour ouvrir les yeux sur ma condition, en juger l'aliénation et encore plus pour décider d'en sortir. C'est pourtant ce que j'ai fait. J'ai démissionné. J'ai claqué la porte. Sans rien prendre de plus que ce qui m'était dû. Solde de tout compte, au revoir. Il n'y avait pas à se poser de questions. En un éclair. Merci, c'était bien, mais plus jamais.

_ Ne vous retournez pas.
_ Suis-je Thésée ?
_ Non, Cerbère.

Et embrasser sa nouvelle vie, vouloir y mordre à pleines dents. La vivre ardemment : qu'elle me consume, qu'elle me consume : elle me fascine !

Et je suis devenue paysagiste.
On peut se dire qu'après la communication, j'ai littéralement été parachutée dans le milieu de l'aménagement des espaces verts urbains et cela sur un coup de tête... mais il n'en est rien ! La nature a toujours été au centre même de mon existence comme un nombril et la communication s'est révélée être un pis-aller à peu près acceptable _certes_ et domestique et gentil et mignon comme des viscères ou un oedème pulmonaire lésionnel... mais ça ne pouvait malheureusement pas durer éternellement tant je ne suis pas un mouton _ leçon n°3.
Depuis toute petite mes parents me poussaient vers une carrière prestigieuse, et cela des quatre mains "Vas-y, vas-y, Papa et Maman te regardent" : la communication est un domaine qui a au final rempli le rôle qu'aurait tout aussi bien pu avoir ceux du droit, de l’ingénierie ou bien encore celui de la recherche contre le cancer : de quoi être encadré sur le mur et rendre des géniteurs très heureux au point qu'ils puissent mourir tranquillement dans des draps de satin rouges et cela avec des cotons fourrés dans le fion pour éviter qu'ils ne se vident sur _ très justement_ les draps de satin rouges.
Après ce n'est pas ma faute si je suis née dans une dictature sud-américaine, que j'ai rejoint les rangs d'un autocrate et que je me suis mise à empiler des cadavres ou bien des corps encore bien vivants pour les découper en petits bouts adéquats et de même gabarit afin qu'ils ne se reproduisent plus : J'AI PAS TUE LA TORTUE AVEC UNE PIERRE, MINCE, ARRÊTEZ DE DIRE ÇA TOUT LE TEMPS : ÇA FATIGUE TOUT LE MONDE ET CE N'EST PAS CONSTRUCTIF POUR UN SOU !!!!

J'ai réussi le concours national des paysagistes nationaux.

_ Avez-vous réussi le concours national des paysagistes nationaux ?
_ Oui bien sûr...
_ Et pour la tortue ?
_ Je l'ai eu du premier coup !

Et je suis devenue paysagiste nationale et je n'ai jamais plus torturé de dissidents communistes chiliens. Ensuite ce ne sont que des ormes qu'il s'agit d'aligner, mais c'est une science et ça s'appelle être rectiligne et c'est si passionnant comme une érection. Il faut savoir observer, se démarquer, avoir des idées. Abattre du travail et des arbres _ ah ah_ et cela avec une serpette courbe très jolie comme la main pleine d'arthrose d'une vieille dame en fin de vie qu'on aide à traverser la route avec mansuétude.

_ Vous mentez.
_ ... et puis faire un jardin d’acclimatation...
_ Vous êtes Doso. Rien de vous n'est fertile.
_ ... qui propose autre chose au citadin curieux...
_ Jamais elle ne vous sera rendue. Vous savez ce que vous en avez fait...
_ ... et c'est ce qui a justifié ce changement d'orientation professionnelle.

Et on m'a mise à la tête d'un projet très audacieux de jardin botanique.
Le projet audacieux de jardin botanique possède un cahier des charges des plus rigoureux qui mériterait même un schéma mais malheureusement je ne sais pas faire de schémas, non, moi, je ne sais faire que me repérer avec la mousse sur les troncs d'arbres, mousse qui, comme tout le monde le sait, point vers le nord, comme des seins turgescents.

Le plan principal reprend celui du jardin botanique royal de Kew à l'ouest de Londres mais bien entendu les dimensions ont été adaptées et certains espaces complètement revus (la faute en incombant évidemment à une différence de moyens qu'il n'est ici légitime que d'évoquer). Pour les mêmes raisons, bien qu'en projet, nous n'avons pas encore la possibilité d'ériger de bâtiments à proprement parler mais nous pensons toutefois fortement construire une serre tropicale pour y entreposer des essences rares et fragiles et des rhododendrons et des pélargoniums et quelques orchidées car tout le monde aime les orchidées comme tout le monde aime les animaux cuits et des espèces incroyables de nénuphars que l'on ne verra que dans notre jardin botanique et dont nous serons très fiers.
C'est un immense honneur que vous m'avez fait en me confiant ce projet. D'autant qu'il m'inscrit à longs termes _ ah ah. Et c'est aussi une façon de reconnaître sincèrement mon talent que de me mettre à la tête de cette lourde entreprise colossale si lourde en responsabilités lourdes.
Ce qui est sûr en tout cas, c'est que ce nouveau jardin botanique disposera, et je vous en fait la promesse solennelle ici même, d'un lac et que l'on y trouvera une flore ainsi qu'une faune des plus fascinantes. Et qu'il n'y aura pas de meilleur endroit pour se sentir inspiré. Et que l'on y sera si bien que l'on ne voudra jamais plus en partir. Qu'il s'agisse d'amphibiens, de poissons, d'échassiers, d'insectes : je veux que le visiteur soit sans cesse stimulé par une nature débordante et qu'il prenne conscience de l'importance de la sauvegarder comme les beaux souvenirs. Ce lac servira à cela et non pas comme tous les autres à simplement s'y contempler.

_ Aimez-vous les gens ?
_ J'aime beaucoup les animaux...
_ Parlez-nous de vous...
_ Je suis une et indivisible... j'aime pourtant les comparaisons... je dois être dans la contradiction permanente sinon je me fane.

Gunneras, séquoias, eucalyptus et des liquidambars pour le ludique et les enfants car j'aime les enfants comme j'aime les comparaisons et la conjonction "comme" qui résonne comme "gomme", la sève, le glaireux, le sperme, le foutre, la descendance, l'infanticide voire l'encise pour peu que l'on se sente en veine, arracher quelques organes encore sanguinolents, mettre des mains dedans, les montrer à maman_ mais là n'est pas la question, voyons. De plus, je pense dores et déjà ce jardin comme une prolongation de l'urbanisation : je ne veux en aucun cas cacher les bâtiments _ non, non_ et j'ai la ferme intention bien au contraire de les intégrer à la luxuriance des espèces végétales, cette dernière ne devant pas nier ou bien s'opposer à la première. C'est bien d'une globalité dont il s'agit, une harmonie.Tout au plus interdirai-je les téléphones portables pour ne pas trop interagir avec le calme que j'essayerai d'y instaurer par une architecture florale adéquate. Mais pas de barrières, ni de cadenas : tout devra être ouvert comme un cœur qu'on admire lorsqu'il cesse de battre.

_ Avez-vous honte ?

Je veux faire construire un pont au centre du lac. Un pont qui reliera le monde des morts à celui des vivants. Des choses se cacheront dessous comme des esprits ou des goules. Oh non, je sais, un ankou ! Sous ce pont, je veux que les souvenirs se perdent. Je veux m'y perdre. Avoir l'impression de me réveiller dans une forêt et y évoluer dans une éternité ouatée.
Et des forêts, il y en aura dans le nouveau jardin botanique dont j'ai la charge de penser l'aménagement avec brio et des pupitres et des fiches qui reprennent mon discours parfait et si bien adéquat. Je souhaite un arboretum pertinent et très fourni. Je souhaite un verger conservatoire. Je souhaite un alpinum. Je souhaite un arbre pour chaque citoyen : plus personne ne périra d'insolation puisqu'il y aura l'ombre de son arbre. Je vous le promets. Et ce que je souhaite généralement, je l'obtiens. Je peux certes être de nature changeante, un peu soupe au lait, très à la brèche (tantôt jouasse, tantôt triste) en un mot inconstante, mais je parviens toujours à aller là où je désire me rendre... il n'y a pas de détour possible. Je suis efficace, sûre de moi, fière et solitaire. Je ne m'encombre jamais de considérations superflues ou si je le fais, elles s'avèrent nécessaires comme les ingrédients exotiques d'une recette qui permettent d'obtenir un plat très goûteux. Je suis droite, je vais d'un point A vers un point B et je m'y tiens et je file, la laine. Rien ne sert dans la vie d'être un mouton si c'est pour marcher plus longtemps que les autres ou bien plus longtemps qu'il n'est nécessaire _ leçon n°4. C'est une question de survie.

Je ne prétends pas avoir la clé qui ouvre toutes les serrures de l'existence, mais je pense que cette philosophie de vie permet d'aller plus loin et d'éviter le sur-place.

_ Avez-vous des regrets ?
_ J'ai soif.
_ Avez-vous des regrets ?
_ J'ai des pignons de pin que je classe par couleur et par taille...

Pour bâtir un jardin botanique, il faut bien évidemment mettre la main à la pâte et c'est donc très naturellement que je m'armerai d'un pelle, d'une pioche et d'un petit sécateur pour construire avec et pour vous, cet espace unique qui sera le vôtre. Je serai sur le terrain. Je viendrai à votre rencontre: je veux être à l'écoute de vos préoccupations. Avoir des idées ne suffit pas : il faut tout faire pour les réaliser, quitte à avoir des ampoules sur les mains. Je n'ai pas peur. Je suis prête si vous voulez de moi.

Je vous aime. Je vous serre contre moi. Vous me manquez...

Chère Maman que j'aime,

aujourd'hui est le bien grand jour ensoleillé et plein de stases où je prends mes fonctions à la tête du projet d'élaboration du jardin botanique. Pour faire simple, tu imagines un organigramme et je suis le nom que tu rencontres pour la première fois alors autant dire que je suis heureuse comme jamais je ne l'ai été auparavant et que je sautille sur place _ j'ai beaucoup de projets insensés en tête _ certainement car je n'avais jamais été jusqu'alors responsable de l’élaboration d'un jardin botanique ni au sommet d'un quelconque organigramme.
Je sais bien que tu as eu peur lorsque j'ai décidé d'abandonner mes fonctions dans la communication et je sais aussi ce tu penses : "Que fait-elle ? Pourquoi tout envoyer valser de cette façon ? Croit-elle donc autant en la chance pour qu'un lancer de dés ne décide de sa vie à ce point ?". Ne crois pas que je ne sache pas lire en toi, je l'ai toujours su et cela depuis toute petite que je le sais. Je te vois, je te sais. C'est aussi simple que cela.
Je tiens par cette lettre à te rassurer par ce message. J'ai bien conscience de tous les sacrifices que papa et toi avaient dû faire pour moi et je pense bien que l'INSCAMA a eu un coût certain pour vous deux et j'imagine assez aussi les sacrifices que vous avez dû faire pour moi et puis aussi je ne suis pas si sotte et j'ai des esprits. Mais je peux t'assurer que tous ces efforts n'ont pas été vains : je suis enfin heureuse et mes choix ont été les bons cette fois-ci. Tous. Sauf un.
Tu m'as souvent reproché mon sale caractère ainsi que mon inconstance : je ne me suis jamais aussi sentie cohérente et compétente et coronaire qu'aujourd'hui avec ce projet de jardin botanique aux chardons. Tu m'as toujours dit : "je te reproche ton sale caractère et ton inconstance". Je suis à l'équilibre. Je suis moi. Comme une feuille déposée sur une flaque et que le vent tourbillonnant ferait rouler comme une toupie. Comme un corps nu cornu.
Tu m'as dit un jour _ c'était un jour très précis de Chandeleur où tu m'as dit avec une crêpe au sirop : "tu n'es qu'une petite pute" et j'ai reçu cette remarque comme une flèche en plein coeur, ou comme une gifle, ou comme un acouphène, ou l'excavation d'un organe sensible comme une langue ou une autre muqueuse plus intérieure et je n'ai pas fini ma crêpe. Mais je la comprends aujourd'hui cette phrase ma maman. Alors j'ai fait une mue et je me suis transformée par magie. Tu n'avais pas la clé de moi. Je te déteste. Tu es la plus mauvaise mère du monde. C'est pour ça que je fais de la politique. Tu n'es pas ma vraie mère. Ma vraie maman elle est plus mieux jolie. J'ai été adoptée. Je préférerais n'être jamais née. Je préférerais prendre un avion et aller loin. Si j'étais vraiment ta fille, je souhaiterais assez que tu me tues sur le champ ou bien que tu me vendes à un homme dégueulasse et borgne et libidineux. Un homme dans le genre de David Lhomme. Même si David Lhomme n'est pas borgne. Ni libidineux. Non, David Lhomme, il n'a qu'un très mauvais parfum ambré. A cause de toi. A cause de tes erreurs _ Regarde moi_

_ Que retenez-vous ?
_ Je suis un mythe ancien.

A cause de tes actes manqués. J'ai foiré jusqu'à ma nomination à la tête du jardin botanique. Ils n'ont pas retenu mon dossier. J'ai demandé à ce qu'ils justifient leur décision. Ils m'ont ri au nez. Ils ont raccroché et j'ai tant pleuré. Je ne bâtirai jamais ce beau jardin botanique. Ils l'ont décidé. J'ai tout plaqué pour ça. C'en est fini et c'est de ta faute.Tu dois bien rire.
Je tiens par cette lettre à te tenir responsable de mon échec. Au cas où je me suicide. Je veux que tout le monde sache très bien que c'est de ta faute.
Alors pour me venger, je veux manipuler le monde pour t'atteindre à travers la foule : laisse-moi bâtir une nation qui ne soit pas toi. Tu n'as plus de pouvoir maman, tu n'as plus de pouvoir. Je peux enfin être certaine de te détruire. Je remonte deux générations. 1-2.

Ta fifille.


(à suivre)

Alban Orsini

Page 3 (Charles M.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte de Charles M.]

Elle reprend: "Le quatre se juxtapose au cinq pour indiquer un manque, une étape à franchir, peut-être une perte à surpasser." Il soupire discrètement. "Le quatre, c'est l'univers légal et froid des abstractions mathématiques. Le point du cinq en fait un visage, lui apporte une âme. Qu'est-ce que tu crois que cela signifie?" Pris de court alors qu'il rêvassait tranquillement à ses options pour le petit déjeuner, il inspire bruyamment.
Il scanne les alentours immédiats de sa pensée pour voir si une petite idée de génie n'y aurait pas été parachutée, tombe sur un vide intégral, et perd quelques précieuses secondes à injurier l'univers sur l'injustice en général et la lenteur de son cerveau en particulier. Rien à faire, l'idée lui échappe. Il prend un petit air de brebis égarée en tordant vers le bas les commissures de ses lèvres. A son regard fixe, il sent bien qu'il est temps de répondre.
Ni la vue sur la ville, obérée par l'immeuble voisin, ni les mouvements doux des poissons d'ornement ne masquaient le blanc qui frappait sa pensée. Si seulement son téléphone pouvait sonner. Peut-être s'endormirait-elle, s'il attendait assez? C'était certainement mal la connaître. Un nouveau mouvement traversa son champ de vision sur la droite et lui offrit une sortie: "Mais qu'est-ce que c'est que ce truc?" s'écria-t-il en faisant un grand geste imprécis.
Ravi de sa trouvaille, il espionne sa réaction mais se heurte à un impassible sourire. Craignant de laisser passer son effet, il renouvelle son geste grandiloquent en direction de l'endroit où il avait perçu un mouvement. Elle détourne les yeux dans cette direction et n'y voit que quelques moutons de poussière égarés contre les lattes. Ses grands yeux s'assombrissent.
"Tu ne veux pas jouer", énonce-t-elle très lentement. "Tu préfères penser à toutes ces petites choses auxquelles tu réléchis tout le temps et qui ne servent à rien, en espérant me jeter de la poudre aux yeux au dernier moment, feindre un sourire ou une larme et me regarder te pardonner et t'admirer mais non, ça n'est plus possible, ça ne marche pas comme ça, en déséquilibre permanent, alors que tu ne fais aucun effort." Il n'a pas tout écouté; il la regarde et se dit qu'il aimerait bien s'en aller. Il tente un sourire.


(à suivre)

Charles M.

Page 3 (David M.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte de David M.]


- Oui! Le connaissez-vous?

- Je connais son école, à défaut de le connaître, lui. Tous les bacheliers de la préfecture de Shaoshe ont reçu cette clef quand un plan de rigueur décidé par Messire Chen a imposé la fermeture de leur école. Cette clef est une compensation: elle leur permet de dormir dans tous les monastères, même s’ils ne sont plus eux-mêmes rattachés à un monastère.

- Pourquoi leur monastère a-t-il été fermé?

- Un rapport commandé par Messire Chen avait conclu que le gongfu du scarabée n’était pas assez performant. Les poètes furent mis à contribution pour ridiculiser cet art ancien, le comparant tantôt à un éclair qui roupille, tantôt à un poisson couché sur une plaque chauffante. C’était une école trop vieille pour plier sous le vent mauvais: elle tomba d’un seul coup. Un matin, un greffier vint et, avec un pinceau plus grand que lui, traça cette proclamation sur le rempart extérieur de l’école du scarabée: “Ecole fermée. Boursiers: recevez votre congé! Bacheliers: recevez votre clef d’or! Maîtres: recevez notre reconnaissance! Signé: Messire Chen!”. Les économies obtenues furent consacrées à nourrir le trésor des fonctionnaires qui avaient rédigé le rapport.

Chan Li Poum n’écoutait déjà plus depuis un petit moment, son attention sincère ayant laissé la place à un ennui tout aussi sincère, et à l’intuition que ces boursiers devaient, quelque part, avoir mérité leur sort.
Il fut tiré de sa rumination par la lueur d’une lanterne, qui se balançait devant eux à vingt pas, derrière le riche équipage d’un magistrat, qui, sans doute, se rendait comme eux, au monastère. Ils s’approchèrent des gaillards qui portaient le palanquin: “Où allez-vous d’un pas si décidé? - Le monastère organise une joute pour sélectionner des novices. Et un magistrat doit siéger aux délibérations pour valider l’équité du processus. Notre maître, Messire Sen, s’y rend sans enthousiasme.”
Tandis qu’ils s’entretenaient avec les serviteurs de Messire Sen, Chan Li Poum et Pieds Nuageux virent apparaître, devant eux la muraille extérieure du monastère, parée de drapeaux portant les couleurs de l’Ecole du poisson. Une trompette sonna et le faubourg endormi sortit e sa torpeur. es affiches annonçant la joute jonchaient la route. Amateurs, disciples, apprentis et serviteurs étaient autorisés à se présenter, même si cette égalité devant le concours, tant vantée par les administrateurs et les magistrats était un leurre, tant nombreux étaient les candidats que leurs parents, depuis le plus jeune âge, avaient préparé en secret à ce moment, leur payant maîtres, écoles, séjours de perfectionnement du souffle - autant de moyens de percer les secrets du gongfu avant même d’être autorisé à apprendre cet art ancien.
Pieds Nuageux sourit et, avec un air entendu, attira Chan Li Pom par l’épaule: “Vois-tu le saule géant qui est devant la porte du monastère? Les trois maîtres qui ont assis à son ombre doivent juger les candidats - qui rentrera, qui devra renoncer à son rêve d’intégrer la première chambre de ShangriLa. Pourtant, à eux trois, ils n’ont pas plus de science qu’un veau trépané.” Chan Li Poum s’iritait des sarcasmes et de l’aigreur de Pieds Nuageux, qu’il soupçonnait d’être rongé par le ressentiment. Il eut alors l’idée d’essayer de lui fausser compagnie.
Mais le moine le tenait fermement par le bras, lui montrant acrobates, clowns et jongleurs, qui avaient voyagé depuis les cantons voisins, dans l’espoir de recruter dans leurs troupes les candidats malheureux qui, humiliés par leur échec, consentiraient à une vie de privation, de misère et de souffrances, sur les routes. Le premier candidat s’avançait déjà: un jeune paysan, torse nu, un pied noir tatoué sur l’épaule, qui adopta d’emblée la posture du tigre, et bondit, virevolta, se renversa, roula, cogna l’air, chassant mille ennemis invisibles avec une dextérité épuisante, qui ne sembla guère toucher le plus âgé des maîtres. Pieds Nuageux souffla que ce vénérable ancien était le célèbre Fi Chan, qui avait jadis mené la rébellion des lettrés contre l’empereur Tsui, et qui après cette jeunesse tapageuse, s’était converti, avec la même application, à la mollesse la plus intransigeante. Fi Chan piquait à présent du nez. “C’est un mélancolique qu’on nourrit d’herbes médicinales pour lui rendre le goût de vivre, mais cela a le principal effet de le faire dormir, à toute heure de la journée. Il s’endort aux proclamations d’édits, aux concours de poésie et aux cérémonies de diplôme.”

(à suivre)

David M.

Seuil 3

La Team Two est arrivée au terme de son troisième cycle d'épisodes. Les épisodes 11 à 15 de chaque auteur ont été assemblés et mis en ligne:

  1. La page 3 du texte de Charles M.;
  2. La page 3 du texte de David M.;
  3. La page 3 du texte d'Alban Orsini;
  4. La page 3 du texte de Julien D.;
  5. La page 3 du texte de Juliette Sabbah;
Bravo aux auteurs!

Les épisodes 16 sont en préparation.

vendredi 24 février 2012

Episode 15

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “"Tu ne veux pas jouer", énonce-t-elle très lentement. "Tu préfères penser à toutes ces petites choses auxquelles tu réléchis tout le temps et qui ne servent à rien, en espérant me jeter de la poudre aux yeux au dernier moment, feindre un sourire ou une larme et me regarder te pardonner et t'admirer mais non, ça n'est plus possible, ça ne marche pas comme ça, en déséquilibre permanent, alors que tu ne fais aucun effort." Il n'a pas tout écouté; il la regarde et se dit qu'il aimerait bien s'en aller. Il tente un sourire.” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Mais le moine le tenait fermement par le bras, lui montrant acrobates, clowns et jongleurs, qui avaient voyagé depuis les cantons voisins, dans l’espoir de recruter dans leurs troupes les candidats malheureux qui, humiliés par leur échec, consentiraient à une vie de privation, de misère et de souffrances, sur les routes. Le premier candidat s’avançait déjà: un jeune paysan, torse nu, un pied noir tatoué sur l’épaule, qui adopta d’emblée la posture du tigre, et bondit, virevolta, se renversa, roula, cogna l’air, chassant mille ennemis invisibles avec une dextérité épuisante, qui ne sembla guère toucher le plus âgé des maîtres. Pieds Nuageux souffla que ce vénérable ancien était le célèbre Fi Chan, qui avait jadis mené la rébellion des lettrés contre l’empereur Tsui, et qui après cette jeunesse tapageuse, s’était converti, avec la même application, à la mollesse la plus intransigeante. Fi Chan piquait à présent du nez. “C’est un mélancolique qu’on nourrit d’herbes médicinales pour lui rendre le goût de vivre, mais cela a le principal effet de le faire dormir, à toute heure de la journée. Il s’endort aux proclamations d’édits, aux concours de poésie et aux cérémonies de diplôme.”” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Chère Maman que j'aime,

aujourd'hui est le bien grand jour ensoleillé et plein de stases où je prends mes fonctions à la tête du projet d'élaboration du jardin botanique. Pour faire simple, tu imagines un organigramme et je suis le nom que tu rencontres pour la première fois alors autant dire que je suis heureuse comme jamais je ne l'ai été auparavant et que je sautille sur place _ j'ai beaucoup de projets insensés en tête _ certainement car je n'avais jamais été jusqu'alors responsable de l’élaboration d'un jardin botanique ni au sommet d'un quelconque organigramme.
Je sais bien que tu as eu peur lorsque j'ai décidé d'abandonner mes fonctions dans la communication et je sais aussi ce tu penses : "Que fait-elle ? Pourquoi tout envoyer valser de cette façon ? Croit-elle donc autant en la chance pour qu'un lancer de dés ne décide de sa vie à ce point ?". Ne crois pas que je ne sache pas lire en toi, je l'ai toujours su et cela depuis toute petite que je le sais. Je te vois, je te sais. C'est aussi simple que cela.
Je tiens par cette lettre à te rassurer par ce message. J'ai bien conscience de tous les sacrifices que papa et toi avaient dû faire pour moi et je pense bien que l'INSCAMA a eu un coût certain pour vous deux et j'imagine assez aussi les sacrifices que vous avez dû faire pour moi et puis aussi je ne suis pas si sotte et j'ai des esprits. Mais je peux t'assurer que tous ces efforts n'ont pas été vains : je suis enfin heureuse et mes choix ont été les bons cette fois-ci. Tous. Sauf un.
Tu m'as souvent reproché mon sale caractère ainsi que mon inconstance : je ne me suis jamais aussi sentie cohérente et compétente et coronaire qu'aujourd'hui avec ce projet de jardin botanique aux chardons. Tu m'as toujours dit : "je te reproche ton sale caractère et ton inconstance". Je suis à l'équilibre. Je suis moi. Comme une feuille déposée sur une flaque et que le vent tourbillonnant ferait rouler comme une toupie. Comme un corps nu cornu.
Tu m'as dit un jour _ c'était un jour très précis de Chandeleur où tu m'as dit avec une crêpe au sirop : "tu n'es qu'une petite pute" et j'ai reçu cette remarque comme une flèche en plein coeur, ou comme une gifle, ou comme un acouphène, ou l'excavation d'un organe sensible comme une langue ou une autre muqueuse plus intérieure et je n'ai pas fini ma crêpe. Mais je la comprends aujourd'hui cette phrase ma maman. Alors j'ai fait une mue et je me suis transformée par magie. Tu n'avais pas la clé de moi. Je te déteste. Tu es la plus mauvaise mère du monde. C'est pour ça que je fais de la politique. Tu n'es pas ma vraie mère. Ma vraie maman elle est plus mieux jolie. J'ai été adoptée. Je préférerais n'être jamais née. Je préférerais prendre un avion et aller loin. Si j'étais vraiment ta fille, je souhaiterais assez que tu me tues sur le champ ou bien que tu me vendes à un homme dégueulasse et borgne et libidineux. Un homme dans le genre de David Lhomme. Même si David Lhomme n'est pas borgne. Ni libidineux. Non, David Lhomme, il n'a qu'un très mauvais parfum ambré. A cause de toi. A cause de tes erreurs _ Regarde moi_

_ Que retenez-vous ?
_ Je suis un mythe ancien.

A cause de tes actes manqués. J'ai foiré jusqu'à ma nomination à la tête du jardin botanique. Ils n'ont pas retenu mon dossier. J'ai demandé à ce qu'ils justifient leur décision. Ils m'ont ri au nez. Ils ont raccroché et j'ai tant pleuré. Je ne bâtirai jamais ce beau jardin botanique. Ils l'ont décidé. J'ai tout plaqué pour ça. C'en est fini et c'est de ta faute.Tu dois bien rire.
Je tiens par cette lettre à te tenir responsable de mon échec. Au cas où je me suicide. Je veux que tout le monde sache très bien que c'est de ta faute.
Alors pour me venger, je veux manipuler le monde pour t'atteindre à travers la foule : laisse-moi bâtir une nation qui ne soit pas toi. Tu n'as plus de pouvoir maman, tu n'as plus de pouvoir. Je peux enfin être certaine de te détruire. Je remonte deux générations. 1-2.

Ta fifille.” (Alban Orsini)



(Suite de l’histoire n°4) “De sol, de sol, parlons-en! Igor était toujours sur son siège, en train de développer toutes sortes de nouvelles perspectives. Le monde marchait à l'envers, c'était presque une certitude. Puis il se décida à défaire sa ceinture. Déverrouillage - Tourbillon - Scrabble - Lombaires - crac, c'est à peu près ce qui lui traversa l'esprit avant qu'il ne percute le plafond en une gamelle façon Commedia dell'Arte. Magie de la pesanteur, le monde prit un nouveau sens à ses yeux: l'en-haut était le bas et l'en-bas était le haut. Et ça bougeait, ça s'agitait! Il secoua la chevelure - de sa voisine assommée - qui lui tombait devant les yeux et contempla le capharnaüm. Pas perdus, pas pressés, pas promis, pas vu pas pris, on n'y comprenait rien tant ça s'agitait!
"Jamais un coup de dé n'abolira le hasard." Aux moments décisifs, certains chantent de vieilles mélodies sétoises. D'autres se réfugient dans de lointains souvenirs ou voient leur esprit traversé d'impressions fugaces, de morceaux de phrases. "C'est très joli" se dit-il encore alors que la porte de l'appareil s'ouvrait enfin et que l'eau s'engouffrait avec violence, emportant tout sur son passage... "C'est joli, mais c'est vraiment stupide comme dernière pensée"...” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “Ni Maya et ni l’homme ne décrochèrent un mot dans la voiture. Si le chauffeur de taxi les avait regardés dans le rétroviseur, il aurait aperçu des statues de cire au visage figé dans une expression songeuse, comme envoûtés par un sort. Le taxi s’éloignait lentement de l’aéroport et se faufilait entre les motos, les vélos, les auto-rickshaws et les quelques vaches qui avançaient tranquillement au pas au milieu de la route. La circulation s’éclaircit finalement et les passagers aperçurent un panneau indiquant : « Dolphin Hotel, 1 km ».” (Juliette Sabbah)

jeudi 23 février 2012

Episode 14

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Ravi de sa trouvaille, il espionne sa réaction mais se heurte à un impassible sourire. Craignant de laisser passer son effet, il renouvelle son geste grandiloquent en direction de l'endroit où il avait perçu un mouvement. Elle détourne les yeux dans cette direction et n'y voit que quelques moutons de poussière égarés contre les lattes. Ses grands yeux s'assombrissent. ” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Pieds Nuageux sourit et, avec un air entendu, attira Chan Li Pom par l’épaule: “Vois-tu le saule géant qui est devant la porte du monastère? Les trois maîtres qui ont assis à son ombre doivent juger les candidats - qui rentrera, qui devra renoncer à son rêve d’intégrer la première chambre de ShangriLa. Pourtant, à eux trois, ils n’ont pas plus de science qu’un veau trépané.” Chan Li Poum s’iritait des sarcasmes et de l’aigreur de Pieds Nuageux, qu’il soupçonnait d’être rongé par le ressentiment. Il eut alors l’idée d’essayer de lui fausser compagnie.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Et des forêts, il y en aura dans le nouveau jardin botanique dont j'ai la charge de penser l'aménagement avec brio et des pupitres et des fiches qui reprennent mon discours parfait et si bien adéquat. Je souhaite un arboretum pertinent et très fourni. Je souhaite un verger conservatoire. Je souhaite un alpinum. Je souhaite un arbre pour chaque citoyen : plus personne ne périra d'insolation puisqu'il y aura l'ombre de son arbre. Je vous le promets. Et ce que je souhaite généralement, je l'obtiens. Je peux certes être de nature changeante, un peu soupe au lait, très à la brèche (tantôt jouasse, tantôt triste) en un mot inconstante, mais je parviens toujours à aller là où je désire me rendre... il n'y a pas de détour possible. Je suis efficace, sûre de moi, fière et solitaire. Je ne m'encombre jamais de considérations superflues ou si je le fais, elles s'avèrent nécessaires comme les ingrédients exotiques d'une recette qui permettent d'obtenir un plat très goûteux. Je suis droite, je vais d'un point A vers un point B et je m'y tiens et je file, la laine. Rien ne sert dans la vie d'être un mouton si c'est pour marcher plus longtemps que les autres ou bien plus longtemps qu'il n'est nécessaire _ leçon n°4. C'est une question de survie.

Je ne prétends pas avoir la clé qui ouvre toutes les serrures de l'existence, mais je pense que cette philosophie de vie permet d'aller plus loin et d'éviter le sur-place.

_ Avez-vous des regrets ?
_ J'ai soif.
_ Avez-vous des regrets ?
_ J'ai des pignons de pin que je classe par couleur et par taille...

Pour bâtir un jardin botanique, il faut bien évidemment mettre la main à la pâte et c'est donc très naturellement que je m'armerai d'un pelle, d'une pioche et d'un petit sécateur pour construire avec et pour vous, cet espace unique qui sera le vôtre. Je serai sur le terrain. Je viendrai à votre rencontre: je veux être à l'écoute de vos préoccupations. Avoir des idées ne suffit pas : il faut tout faire pour les réaliser, quitte à avoir des ampoules sur les mains. Je n'ai pas peur. Je suis prête si vous voulez de moi.

Je vous aime. Je vous serre contre moi. Vous me manquez...” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “« Suis la flèche, oui, suis les signes » se répéta le Veilleur alors qu’il voyait enfin où voulaient en venir le Tanoué et ses envoyés. Un motif, une bande, une flèche sur le flanc de l’appareil. Le monde pouvait reprendre son sens. Le haut était toujours l’en-haut et le bas l’en-bas… Et au bout du chemin, il y avait cette autre porte sans serrure. Par l’ouverture, devant la lumière intérieure, se déroulait une scène d’un théâtre d’ombres. Un homme s’était levé qui en avait emmené quelques autres vers la sortie. Au loin, des flammes et devant eux, deux cerbères en uniforme qui tentaient de leur barrer le passage. L’homme n’avait rien d’Orphée et sur son visage se peignait cette expression enjouée de celui qui sait ce qu’il doit faire sans jamais regarder en arrière. L’air vint à manquer au Veilleur. Dans un dernier effort, il agrippa la poignée à deux mains, posa les pieds sur la carlingue et tira de toutes ses forces.

Il ferma les yeux Il était un arbre Il tirait sa puissance de ses racines ancrées dans la terre qui irradiait jusqu’à ses branches Grandir Grandir Déjà le monde entier cédait face à son inexorable redressement Il croissait il croissait de tous ses membres Ça y était la poignée tournait le battant se soulevait Puis tout céda Il se sentit partir en l’air partir en l’eau plutôt propulsé par un ultime coup de pied une violente remontée qui se finit époumonée alors qu’il tendait la tête vers les étoiles .” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “L’homme raccrocha l’appareil et esquissa un faible sourire. « Vous avez dû deviner de quoi il s’agit », murmura-t-il tandis que son sourire s’effaçait déjà. « Pas la peine de réfléchir pendant des heures », marmonna à son tour Maya pendant que l’homme fourrageait nerveusement de la main dans ses boucles. Ils se décidèrent pour un taxi jaune et vert, curieusement cabossé, et indiquèrent au chauffeur le nom de l’hôtel. Ce dernier inclina brièvement la tête et enclencha le contact.” (Juliette Sabbah)

mercredi 22 février 2012

Episode 13

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Ni la vue sur la ville, obérée par l'immeuble voisin, ni les mouvements doux des poissons d'ornement ne masquaient le blanc qui frappait sa pensée. Si seulement son téléphone pouvait sonner. Peut-être s'endormirait-elle, s'il attendait assez? C'était certainement mal la connaître. Un nouveau mouvement traversa son champ de vision sur la droite et lui offrit une sortie: "Mais qu'est-ce que c'est que ce truc?" s'écria-t-il en faisant un grand geste imprécis.” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Tandis qu’ils s’entretenaient avec les serviteurs de Messire Sen, Chan Li Poum et Pieds Nuageux virent apparaître, devant eux la muraille extérieure du monastère, parée de drapeaux portant les couleurs de l’Ecole du poisson. Une trompette sonna et le faubourg endormi sortit e sa torpeur. es affiches annonçant la joute jonchaient la route. Amateurs, disciples, apprentis et serviteurs étaient autorisés à se présenter, même si cette égalité devant le concours, tant vantée par les administrateurs et les magistrats était un leurre, tant nombreux étaient les candidats que leurs parents, depuis le plus jeune âge, avaient préparé en secret à ce moment, leur payant maîtres, écoles, séjours de perfectionnement du souffle - autant de moyens de percer les secrets du gongfu avant même d’être autorisé à apprendre cet art ancien.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Le projet audacieux de jardin botanique possède un cahier des charges des plus rigoureux qui mériterait même un schéma mais malheureusement je ne sais pas faire de schémas, non, moi, je ne sais faire que me repérer avec la mousse sur les troncs d'arbres, mousse qui, comme tout le monde le sait, point vers le nord, comme des seins turgescents.

Le plan principal reprend celui du jardin botanique royal de Kew à l'ouest de Londres mais bien entendu les dimensions ont été adaptées et certains espaces complètement revus (la faute en incombant évidemment à une différence de moyens qu'il n'est ici légitime que d'évoquer). Pour les mêmes raisons, bien qu'en projet, nous n'avons pas encore la possibilité d'ériger de bâtiments à proprement parler mais nous pensons toutefois fortement construire une serre tropicale pour y entreposer des essences rares et fragiles et des rhododendrons et des pélargoniums et quelques orchidées car tout le monde aime les orchidées comme tout le monde aime les animaux cuits et des espèces incroyables de nénuphars que l'on ne verra que dans notre jardin botanique et dont nous serons très fiers.
C'est un immense honneur que vous m'avez fait en me confiant ce projet. D'autant qu'il m'inscrit à longs termes _ ah ah. Et c'est aussi une façon de reconnaître sincèrement mon talent que de me mettre à la tête de cette lourde entreprise colossale si lourde en responsabilités lourdes.
Ce qui est sûr en tout cas, c'est que ce nouveau jardin botanique disposera, et je vous en fait la promesse solennelle ici même, d'un lac et que l'on y trouvera une flore ainsi qu'une faune des plus fascinantes. Et qu'il n'y aura pas de meilleur endroit pour se sentir inspiré. Et que l'on y sera si bien que l'on ne voudra jamais plus en partir. Qu'il s'agisse d'amphibiens, de poissons, d'échassiers, d'insectes : je veux que le visiteur soit sans cesse stimulé par une nature débordante et qu'il prenne conscience de l'importance de la sauvegarder comme les beaux souvenirs. Ce lac servira à cela et non pas comme tous les autres à simplement s'y contempler.

_ Aimez-vous les gens ?
_ J'aime beaucoup les animaux...
_ Parlez-nous de vous...
_ Je suis une et indivisible... j'aime pourtant les comparaisons... je dois être dans la contradiction permanente sinon je me fane.

Gunneras, séquoias, eucalyptus et des liquidambars pour le ludique et les enfants car j'aime les enfants comme j'aime les comparaisons et la conjonction "comme" qui résonne comme "gomme", la sève, le glaireux, le sperme, le foutre, la descendance, l'infanticide voire l'encise pour peu que l'on se sente en veine, arracher quelques organes encore sanguinolents, mettre des mains dedans, les montrer à maman_ mais là n'est pas la question, voyons. De plus, je pense dores et déjà ce jardin comme une prolongation de l'urbanisation : je ne veux en aucun cas cacher les bâtiments _ non, non_ et j'ai la ferme intention bien au contraire de les intégrer à la luxuriance des espèces végétales, cette dernière ne devant pas nier ou bien s'opposer à la première. C'est bien d'une globalité dont il s'agit, une harmonie.Tout au plus interdirai-je les téléphones portables pour ne pas trop interagir avec le calme que j'essayerai d'y instaurer par une architecture florale adéquate. Mais pas de barrières, ni de cadenas : tout devra être ouvert comme un cœur qu'on admire lorsqu'il cesse de battre.

_ Avez-vous honte ?

Je veux faire construire un pont au centre du lac. Un pont qui reliera le monde des morts à celui des vivants. Des choses se cacheront dessous comme des esprits ou des goules. Oh non, je sais, un ankou ! Sous ce pont, je veux que les souvenirs se perdent. Je veux m'y perdre. Avoir l'impression de me réveiller dans une forêt et y évoluer dans une éternité ouatée.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “Elle avait réservé ses heures à ses regrets, retranchée dans sa tour d’ivoire, au tout dernier étage de sa chambre, son gynécée. Elle s’était trouvé un parcours intime, pictogramme de l’abandon qu’elle traçait de ses pieds ; un cercle parfait délimitant son bocal qu’elle emplissait de la fumée acre de ses cigarettes. Téléphone en berne. Les Questions avaient déserté Greta, ces sales nuisibles avaient rampé sur la moquette et envahi les murs. Elles avaient séchés ses espoirs à la paroi, efflorescences en motifs de papier peint. Seuls quelques scarabées particulièrement caparaçonnés tentaient encore de l’approcher. Impudents, ils se faisaient sauvagement piétiner. Plus de questions pour Greta, elle enferma les dernières Interrogations à double tour dans une boite, y mis un cadenas et rangea le tout dans un coffre qu’elle avait au mur, là où se trouvaient déjà son chéquier, une poignée de dollars et la carte de crédit de Nils.

Le Fantôme des anniversaires passés, vieille femme décatie, vint relever sa jupe devant elle. Elle contempla le désastre, se plongeant avec délices dans des souvenirs qui faisaient mal, s’affalant enfin sur le canapé avant de pousser plus loin ses explorations douloureuses sous le scalpel du sommeil.” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “Maya et l’homme (qui, le réalisa-t-elle, ne s’était toujours pas présenté) sortirent de l’aéroport international. Ils écartèrent plusieurs rabatteurs de taxi en faisant mine de ne pas parler anglais et se demandaient quel moyen de transport emprunter, quand le portable de l’homme se mit à sonner. Il pâlit soudain, frissonna violemment (il devait pourtant faire 50 degrés dehors) et empoigna comme instinctivement son médaillon scarabée. « Vous ne répondez pas ? » demanda Maya, soudain inquiète. L’homme sembla se reprendre un peu et sortit le téléphone de sa poche. Une voix résonna, métallique, même Maya pouvait l’entendre. « Vous vous rendrez à l’hôtel du Dauphin pour y passer la nuit », distingua-t-elle nettement.” (Juliette Sabbah)

mardi 21 février 2012

Episode 12

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Il scanne les alentours immédiats de sa pensée pour voir si une petite idée de génie n'y aurait pas été parachutée, tombe sur un vide intégral, et perd quelques précieuses secondes à injurier l'univers sur l'injustice en général et la lenteur de son cerveau en particulier. Rien à faire, l'idée lui échappe. Il prend un petit air de brebis égarée en tordant vers le bas les commissures de ses lèvres. A son regard fixe, il sent bien qu'il est temps de répondre.” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Il fut tiré de sa rumination par la lueur d’une lanterne, qui se balançait devant eux à vingt pas, derrière le riche équipage d’un magistrat, qui, sans doute, se rendait comme eux, au monastère. Ils s’approchèrent des gaillards qui portaient le palanquin: “Où allez-vous d’un pas si décidé? - Le monastère organise une joute pour sélectionner des novices. Et un magistrat doit siéger aux délibérations pour valider l’équité du processus. Notre maître, Messire Sen, s’y rend sans enthousiasme.” ” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “On peut se dire qu'après la communication, j'ai littéralement été parachutée dans le milieu de l'aménagement des espaces verts urbains et cela sur un coup de tête... mais il n'en est rien ! La nature a toujours été au centre même de mon existence comme un nombril et la communication s'est révélée être un pis-aller à peu près acceptable _certes_ et domestique et gentil et mignon comme des viscères ou un oedème pulmonaire lésionnel... mais ça ne pouvait malheureusement pas durer éternellement tant je ne suis pas un mouton _ leçon n°3.
Depuis toute petite mes parents me poussaient vers une carrière prestigieuse, et cela des quatre mains "Vas-y, vas-y, Papa et Maman te regardent" : la communication est un domaine qui a au final rempli le rôle qu'aurait tout aussi bien pu avoir ceux du droit, de l’ingénierie ou bien encore celui de la recherche contre le cancer : de quoi être encadré sur le mur et rendre des géniteurs très heureux au point qu'ils puissent mourir tranquillement dans des draps de satin rouges et cela avec des cotons fourrés dans le fion pour éviter qu'ils ne se vident sur _ très justement_ les draps de satin rouges.
Après ce n'est pas ma faute si je suis née dans une dictature sud-américaine, que j'ai rejoint les rangs d'un autocrate et que je me suis mise à empiler des cadavres ou bien des corps encore bien vivants pour les découper en petits bouts adéquats et de même gabarit afin qu'ils ne se reproduisent plus : J'AI PAS TUE LA TORTUE AVEC UNE PIERRE, MINCE, ARRÊTEZ DE DIRE ÇA TOUT LE TEMPS : ÇA FATIGUE TOUT LE MONDE ET CE N'EST PAS CONSTRUCTIF POUR UN SOU !!!!

J'ai réussi le concours national des paysagistes nationaux.

_ Avez-vous réussi le concours national des paysagistes nationaux ?
_ Oui bien sûr...
_ Et pour la tortue ?
_ Je l'ai eu du premier coup !

Et je suis devenue paysagiste nationale et je n'ai jamais plus torturé de dissidents communistes chiliens. Ensuite ce ne sont que des ormes qu'il s'agit d'aligner, mais c'est une science et ça s'appelle être rectiligne et c'est si passionnant comme une érection. Il faut savoir observer, se démarquer, avoir des idées. Abattre du travail et des arbres _ ah ah_ et cela avec une serpette courbe très jolie comme la main pleine d'arthrose d'une vieille dame en fin de vie qu'on aide à traverser la route avec mansuétude.

_ Vous mentez.
_ ... et puis faire un jardin d’acclimatation...
_ Vous êtes Doso. Rien de vous n'est fertile.
_ ... qui propose autre chose au citadin curieux...
_ Jamais elle ne vous sera rendue. Vous savez ce que vous en avez fait...
_ ... et c'est ce qui a justifié ce changement d'orientation professionnelle.

Et on m'a mise à la tête d'un projet très audacieux de jardin botanique.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “La cinquième plongée du Veilleur se devait d’être décisive. Il savait que ses bras ne lui laisseraient pas accomplir d’autre tentative. La tortue malicieuse – il avait oublié son prénom – qui lui avait suggéré cette pêche peu banale s’ébattait le long de l’appareil, battant mollement de ses nageoires. A défaut d’une bonne idée, il décida de suivre l’instinct de l’animal. Il y avait du mouton chez ce veilleur dans son obstination à suivre des signes qui ne lui apportaient que peu de lumière. L’espace d’un instant, le doute l’étreignit Ne suivait-il pas les pas d’un quelconque esprit facétieux qui se serait amusé à le noyer ? Il n’y avait que peu de justice dans le monde spirituel – ou une justice bancale, du genre que les hommes ne pouvaient pas comprendre.

La preuve, par les ouvertures, il voyait tous ces gens prisonniers de l’oiseau d’acier qui bougeaient dans tous les sens. Chacun s’était saisi de ce qu’il avait trouvé à portée de main et qui auraient pu lui apporter une chance de salut. Il les voyait, la tête en bas, certains encore accrochés à leur siège, qui se passaient un gilet de sauvetage autour du cou. D’autres serraient de petites croix ; un autre encore avait préféré s’emparer d’un parachute. Une indécision totale s’était emparée de l’homme après qu’il se soit approché des hublots.” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “« Je vous le dirai une fois que nous serons arrivés », répondit l’homme. L’atterrissage se déroula le plus normalement du monde, sans recours aux parachutes ou aux toboggans d’urgence, aucune de toutes les catastrophes que Maya imaginait régulièrement quand elle prenait l’avion. L’appareil s’arrêta tranquillement près un champ, de sorte que Maya s’imaginait difficilement qu’elle allait débarquer à Delhi. Elle se demanda où elle pourrait continuer tranquillement la conversation avec l’homme et commença à réfléchir au choix d’un hôtel.” (Juliette Sabbah)