samedi 25 février 2012

Page 3 (Julien D.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte de 008 dont Julien D. assure la rédaction, en l'absence de 008.]

La cinquième plongée du Veilleur se devait d’être décisive. Il savait que ses bras ne lui laisseraient pas accomplir d’autre tentative. La tortue malicieuse – il avait oublié son prénom – qui lui avait suggéré cette pêche peu banale s’ébattait le long de l’appareil, battant mollement de ses nageoires. A défaut d’une bonne idée, il décida de suivre l’instinct de l’animal. Il y avait du mouton chez ce veilleur dans son obstination à suivre des signes qui ne lui apportaient que peu de lumière. L’espace d’un instant, le doute l’étreignit Ne suivait-il pas les pas d’un quelconque esprit facétieux qui se serait amusé à le noyer ? Il n’y avait que peu de justice dans le monde des esprits – ou une justice bancale, du genre que les hommes ne pouvaient pas comprendre.
La preuve, par les ouvertures, il voyait tous ces gens prisonniers de l’oiseau d’acier qui bougeaient dans tous les sens. Chacun s’était saisi de ce qu’il avait trouvé à portée de main et qui auraient pu leur apporter une chance de salut. Il les voyait, la tête en bas, encore accrochés à leur siège, qui se passaient leur gilet de sauvetage autour du cou. D’autres serraient de petites croix ; Un autre encore avait préféré s’emparer d’un parachute. Une indécision totale s’était emparée de l’homme après qu’il se soit approché des hublots.
Puis les signes s’éclaircirent enfin, l’appareil disposait d’une autre ouverture. Le Veilleur posa ses mains sur la paroi métallique, chercha une poignée, la trouva, tira, et c’est à ce moment que tout s’emballa alors qu’en réponse la porte s’ouvrait. L’eau s’engouffra dans l’appareil et le chamane aspiré se dit attristé que les esprits lui avaient joué un bien mauvais tour.
Elle avait réservé ses heures à ses regrets, retranchée dans sa tour d’ivoire, au tout dernier étage de sa chambre, son gynécée. Elle s’était trouvé un parcours intime, pictogramme de l’abandon qu’elle traçait de ses pieds ; un cercle parfait délimitant son bocal qu’elle emplissait de la fumée acre de ses cigarettes. Téléphone en berne. Les Questions avaient déserté Greta, ces sales nuisibles avaient rampé sur la moquette et envahi les murs. Elles avaient séchés ses espoirs à la paroi, efflorescences en motifs de papier peint. Seuls quelques scarabées particulièrement caparaçonnés tentaient encore de l’approcher. Impudents, ils se faisaient sauvagement piétiner. Plus de questions pour Greta, elle enferma les dernières Interrogations à double tour dans une boite, y mis un cadenas et rangea le tout dans un coffre qu’elle avait au mur, là où se trouvaient déjà son chéquier, une poignée de dollars et la carte de crédit de Nils.

Le Fantôme des anniversaires passés, vieille femme décatie, vint relever sa jupe devant elle. Elle contempla le désastre, se plongeant avec délices dans des souvenirs qui faisaient mal, s’affalant enfin sur le canapé avant de pousser plus loin ses explorations douloureuses sous le scalpel du sommeil.

« Suis la flèche, oui, suis les signes » se répéta le Veilleur alors qu’il voyait enfin où voulaient en venir le Tanoué et ses envoyés. Un motif, une bande, une flèche sur le flanc de l’appareil. Le monde pouvait reprendre son sens. Le haut était toujours l’en-haut et le bas l’en-bas… Et au bout du chemin, il y avait cette autre porte sans serrure. Par l’ouverture, devant la lumière intérieure, se déroulait une scène d’un théâtre d’ombres. Un homme s’était levé qui en avait emmené quelques autres vers la sortie. Au loin, des flammes et devant eux, deux cerbères en uniforme qui tentaient de leur barrer le passage. L’homme n’avait rien d’Orphée et sur son visage se peignait cette expression enjouée de celui qui sait ce qu’il doit faire sans jamais regarder en arrière. L’air vint à manquer au Veilleur. Dans un dernier effort, il agrippa la poignée à deux mains, posa les pieds sur la carlingue et tira de toutes ses forces.

Il ferma les yeux Il était un arbre Il tirait sa puissance de ses racines ancrées dans la terre qui irradiait jusqu’à ses branches Grandir Grandir Déjà le monde entier cédait face à son inexorable redressement Il croissait il croissait de tous ses membres Ça y était la poignée tournait le battant se soulevait Puis tout céda Il se sentit partir en l’air partir en l’eau plutôt propulsé par un ultime coup de pied une violente remontée qui se finit époumonée alors qu’il tendait la tête vers les étoiles .
De sol, de sol, parlons-en! Igor était toujours sur son siège, en train de développer toutes sortes de nouvelles perspectives. Le monde marchait à l'envers, c'était presque une certitude. Puis il se décida à défaire sa ceinture. Déverrouillage - Tourbillon - Scrabble - Lombaires - crac, c'est à peu près ce qui lui traversa l'esprit avant qu'il ne percute le plafond en une gamelle façon Commedia dell'Arte. Magie de la pesanteur, le monde prit un nouveau sens à ses yeux: l'en-haut était le bas et l'en-bas était le haut. Et ça bougeait, ça s'agitait! Il secoua la chevelure - de sa voisine assommée - qui lui tombait devant les yeux et contempla le capharnaüm. Pas perdus, pas pressés, pas promis, pas vu pas pris, on n'y comprenait rien tant ça s'agitait!
"Jamais un coup de dé n'abolira le hasard." Aux moments décisifs, certains chantent de vieilles mélodies sétoises. D'autres se réfugient dans de lointains souvenirs ou voient leur esprit traversé d'impressions fugaces, de morceaux de phrases. "C'est très joli" se dit-il encore alors que la porte de l'appareil s'ouvrait enfin et que l'eau s'engouffrait avec violence, emportant tout sur son passage... "C'est joli, mais c'est vraiment stupide comme dernière pensée"...


(à suivre)

Julien D.

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