samedi 25 février 2012

Page 3 (David M.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte de David M.]


- Oui! Le connaissez-vous?

- Je connais son école, à défaut de le connaître, lui. Tous les bacheliers de la préfecture de Shaoshe ont reçu cette clef quand un plan de rigueur décidé par Messire Chen a imposé la fermeture de leur école. Cette clef est une compensation: elle leur permet de dormir dans tous les monastères, même s’ils ne sont plus eux-mêmes rattachés à un monastère.

- Pourquoi leur monastère a-t-il été fermé?

- Un rapport commandé par Messire Chen avait conclu que le gongfu du scarabée n’était pas assez performant. Les poètes furent mis à contribution pour ridiculiser cet art ancien, le comparant tantôt à un éclair qui roupille, tantôt à un poisson couché sur une plaque chauffante. C’était une école trop vieille pour plier sous le vent mauvais: elle tomba d’un seul coup. Un matin, un greffier vint et, avec un pinceau plus grand que lui, traça cette proclamation sur le rempart extérieur de l’école du scarabée: “Ecole fermée. Boursiers: recevez votre congé! Bacheliers: recevez votre clef d’or! Maîtres: recevez notre reconnaissance! Signé: Messire Chen!”. Les économies obtenues furent consacrées à nourrir le trésor des fonctionnaires qui avaient rédigé le rapport.

Chan Li Poum n’écoutait déjà plus depuis un petit moment, son attention sincère ayant laissé la place à un ennui tout aussi sincère, et à l’intuition que ces boursiers devaient, quelque part, avoir mérité leur sort.
Il fut tiré de sa rumination par la lueur d’une lanterne, qui se balançait devant eux à vingt pas, derrière le riche équipage d’un magistrat, qui, sans doute, se rendait comme eux, au monastère. Ils s’approchèrent des gaillards qui portaient le palanquin: “Où allez-vous d’un pas si décidé? - Le monastère organise une joute pour sélectionner des novices. Et un magistrat doit siéger aux délibérations pour valider l’équité du processus. Notre maître, Messire Sen, s’y rend sans enthousiasme.”
Tandis qu’ils s’entretenaient avec les serviteurs de Messire Sen, Chan Li Poum et Pieds Nuageux virent apparaître, devant eux la muraille extérieure du monastère, parée de drapeaux portant les couleurs de l’Ecole du poisson. Une trompette sonna et le faubourg endormi sortit e sa torpeur. es affiches annonçant la joute jonchaient la route. Amateurs, disciples, apprentis et serviteurs étaient autorisés à se présenter, même si cette égalité devant le concours, tant vantée par les administrateurs et les magistrats était un leurre, tant nombreux étaient les candidats que leurs parents, depuis le plus jeune âge, avaient préparé en secret à ce moment, leur payant maîtres, écoles, séjours de perfectionnement du souffle - autant de moyens de percer les secrets du gongfu avant même d’être autorisé à apprendre cet art ancien.
Pieds Nuageux sourit et, avec un air entendu, attira Chan Li Pom par l’épaule: “Vois-tu le saule géant qui est devant la porte du monastère? Les trois maîtres qui ont assis à son ombre doivent juger les candidats - qui rentrera, qui devra renoncer à son rêve d’intégrer la première chambre de ShangriLa. Pourtant, à eux trois, ils n’ont pas plus de science qu’un veau trépané.” Chan Li Poum s’iritait des sarcasmes et de l’aigreur de Pieds Nuageux, qu’il soupçonnait d’être rongé par le ressentiment. Il eut alors l’idée d’essayer de lui fausser compagnie.
Mais le moine le tenait fermement par le bras, lui montrant acrobates, clowns et jongleurs, qui avaient voyagé depuis les cantons voisins, dans l’espoir de recruter dans leurs troupes les candidats malheureux qui, humiliés par leur échec, consentiraient à une vie de privation, de misère et de souffrances, sur les routes. Le premier candidat s’avançait déjà: un jeune paysan, torse nu, un pied noir tatoué sur l’épaule, qui adopta d’emblée la posture du tigre, et bondit, virevolta, se renversa, roula, cogna l’air, chassant mille ennemis invisibles avec une dextérité épuisante, qui ne sembla guère toucher le plus âgé des maîtres. Pieds Nuageux souffla que ce vénérable ancien était le célèbre Fi Chan, qui avait jadis mené la rébellion des lettrés contre l’empereur Tsui, et qui après cette jeunesse tapageuse, s’était converti, avec la même application, à la mollesse la plus intransigeante. Fi Chan piquait à présent du nez. “C’est un mélancolique qu’on nourrit d’herbes médicinales pour lui rendre le goût de vivre, mais cela a le principal effet de le faire dormir, à toute heure de la journée. Il s’endort aux proclamations d’édits, aux concours de poésie et aux cérémonies de diplôme.”

(à suivre)

David M.

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