samedi 3 mars 2012

Page 4 (Charles M.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 4 du texte de Charles M.]


Se retirer en lui-même pour laisser passer l'orage n'aboutirait à rien. Il calcule et pressent également qu'un nouveau dialogue ne serait pas plus fructueux. Au risque d'aliéner totalement son désir, il se résigne à jouer.
Il lance les dés et fait huit. Six et deux. Il se lance. "Le passage de la combinaison "six-trois" à "six-deux" nous indique, surtout après deux jets de suite à "neuf", une menace de dégradation lente, la perte progressive d'un état de stabilité. Le six, qui reste constant, présume un socle fiable et pour le moment inattaqué. La corruption vient des marges, s'attaque au point le plus faible, dissimulée, ne se révélant qu'une fois devenue inévitable." Il marque une pause, sans lever les yeux vers elle, pour sentir son sourire timide comme on imagine frémir les feuilles d'un arbre. Perdu dans ses métaphores botaniques, il ne remarque qu'au dernier moment deux petits insectes passer à toute allure derrière l'aquarium. Alors qu’il allait reprendre, sa bouche s'assèche soudainement.
La danse des ombres portées par les algues de l'aquarium pare la pièce d'incessantes ondulations. Absolument certain d'avoir perçu le mouvement rapide de deux insectes zigzaguant en toute impunité, il se lève d'un bond vers l'angle de la pièce, renversant une petite table basse. Il évite de marcher sur son téléphone ou sur l'assiette de fruits offerte par l'hôtel qu'il vient de renverser, glisse sur le collier de perles qu'elle a laissé tomber là puis s'écrase assez lamentablement sur la moquette.
Il reprend ses esprits et se tourne vers elle, encore un peu confus. Elle se retient à peine puis éclate de rire, la joie brute qui éclaire ses yeux lui faisant oublier de se vexer. Il partage son amusement et décide un abandon temporaire de sa chasse aux insectes. Peut-être est-il encore temps de sauver ces quelques heures à venir, de délaisser les insectes et les dés pour passer un bras derrière sa taille, dont la découpe dans le contrejour de la lampe de chevet l'affole un peu.
Mais elle esquive sa pensée comme elle aurait esquivé son bras, s'il l'avait tendu, et regarde par la fenêtre comme pour y chercher le matin ou bien le soir. L'écho de son rire persiste dans un léger soulèvement de ses épaules. Sa beauté l'écoeure autant qu'elle l'éblouit. Je voudrais, pense-t-il, m'approcher de toi sans être vu et vivre dans ta splendeur come une mouche contre une ampoule à peine allumée, à attendre une chaleur suffisante pour y griller pleinement. Elle a encore quelques heures à tuer et le regarde avec la douceur sauvage d'un ogre attendri.


(à suivre)

Charles M.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire