[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte d'Alban Orsini]
Mes très chers amis.
Il semble que le ciel se soit quelque peu découvert et je suis très heureuse que les conditions deviennent de nouveau favorables.
Je vais vous dire ce que je vois ou plutôt je vais vous raconter un de mes rêves, cela ne durera pas longtemps.
Je ne suis pas du genre à beaucoup rêver.
Ou du genre à m'étendre sur mes utopies.
Mais.
J'ai rêvé que j'étais oisive.
J'ai rêvé que je n'étais rien ou que je ne produisais rien.
J'ai rêvé que l'on m'avait mise à la tête d'un projet de jardin botanique et que je faisais tout mon possible pour le mener à bien. J'ai rêvé que cet objectif occupait toute ma vie (quelle belle métaphore) et que certaines personnes tentaient de me mettre des bâtons dans les roues, ce qui me rendait triste et vulgaire. J'ai rêvé que j'étais loin de vous mes amis. J'ai rêvé que je ne faisais rien pour vous. Quelle étrange impression d'être à ce point inutile : j'ai rêvé que j'étais devenue égoïste, que seule ma pomme comptais. J'ai rêvé que je ne travaillais plus pour vous. J'ai rêvé que vous ne comptiez plus pour moi. J'ai rêvé que je vous abandonnais.
Quel drôle d'idée, quelle drôle de chose, quelle drôle de vue, quel drôle de rêve que ce rêve-ci : un rêve qui me montre tout ce que je ne souhaite pas être.
Et puis il y avait cette tortue. J'ai rêvé d'une tortue. Dans la cosmogonie chinoise, le monde est porté par quatre éléphants, ces mêmes éléphants étant portés par une tortue. Quelle belle image que cette image-là car c'est bien au travers de ce rêve que je vous le dis : je veux porter mon pays, je veux être votre socle.
Et ce n'est pas un discours vide de sens, le discours d'un étranger venu dont ne sait trop où et qui ne connaîtrait rien de vos préoccupations comme vous savez qui : non, c'est de la franchise, c'est de la promesse. C'est une direction. Ce discours sera notre boussole commune.
Bien sûr que la bataille sera longue, bien sûr que certains voudront me faire taire : mais ce projet sera mon jardin botanique et je ferai en sorte de l'amener au-delà de mes rêves, des vôtres propre et de réussir. Je le ferai pour mon pays.
Je le ferai pour vous. Pour vous tous.
Mais rentrons dans le vif du sujet : sortons quelques organes de cette doxa qui nous encombre et je dis avec une bouche des plus déterminées mais sans maquillage et un scalpel : "nous" mais je pense "vous" ou "moi" ou encore "ensemble", "cotillons", "soulèvement", "fanfreluches" et "fêtes épaisses" pour "corps électoral", "quorum", "référendums" et "force de propositions".
Voici pour vous un peu plus dévoilés, quelques points clés de mon nouveau programme et qui s'articulent autour d'une utilisation raisonnée du fascisme pour le bon déroulement d'une vie placée sous les meilleures hospices. Je dis "oui", je dis "non", vous dites "pourquoi", je réponds "parce que", vous avez les questions, j'ai les réponses, vous êtes l'oreille, je suis la voix.
J'assume pleinement tout ce que je m'apprête à dire : je suis une femme responsable, j'ai des arguments et je sais qu'ils sont bons et doux. Je peux les démouler et les démontrer. On peut les démonter que je les recollerai. J'assume la responsabilité de mes actes et de mes paroles aussi bien sur un plan politique, moral, qu'historique. Que l'on ne m'accuse pas de me dérober : je ne suis ni glissante, ni fuyante : je n'aime pas l'huile. Je suis dressée devant vous, fière et plus que jamais décidée. Je n'ai nul besoin de soutien : mes seins tiennent tout seul et je ne cherche pas à vous convaincre avec eux.
Ce pays a besoin d'un renouveau tant il ne peut plus continuer de se construire sur ses acquis qui n'en sont plus depuis longtemps tant trop se sont déjà servis. Trop de présidents chiliens se sont succédés à sa tête aussi et surtout. Cela ne peut plus continuer éternellement : nous sommes les seuls à pouvoir diriger notre pays et cela grâce, notamment, à la mousse qui pousse sur les arbres. Voulez-vous vraiment que cette nation soit laissée entre les mains d'étrangers qui sentent l'arnaque et la cupidité ? Souhaitez- vous sincèrement que vos intérêts soient défendus par des personnes qui n'ont aucune connaissance du terrain ? De notre terrain ? Ne les laissons pas dicter nos lois, ne les laissons pas s'enrichir avec notre argent ! Notre sueur n'est pas la leur : nous sommes d'ici, d'où proviennent-ils ? Qui le sait ? Ils ne font jamais que récolter le fruit de notre labeur _ ils se servent _ et amassent les gains comme les bousiers la merde. Nous nous sommes battus pour ce pays, nous avons des droits. Alors bien sûr, certains tenterons de m'opposer à cette idée celle selon laquelle les chiliens représentent une opportunité dirigée vers les Etats-Unis. Les Etats-Unis ne sont en rien un abri mais un leurre ! Ils ne nous font pas une fleur en nous envoyant les chiliens, non, ils nous condamnent pour mieux nous posséder ! Ils l'ont déjà fait dans d'autres pays ! Ils ont leurs raisons, mais ce ne sont pas les nôtres ! N'oublions pas que le miel est donné par un animal qui peut piquer. La manne américaine est la vaseline des enculeurs du peuple ! Méfions-nous et ne baissons pas la garde !
Les chiliens, je vais vous dire, ne servent à rien. Il suffit de regarder du côté de leur nourriture ou bien de leur littérature : ils n'ont aucun goût. L'empenada, quelle blague ! C'est un mirage de spécialité culinaire pour touriste stupide. L'empenada n'est même pas chilienne mais espagnole : ils l'ont simplement adaptée tellement ils n'ont aucun talent. Demandez à un français ce qu'il connait de la cuisine chilienne et nous verrons bien : il répondra "ah ah" et vous comprendrez "oh oh" ! L'asado, aucun commentaire. Les chiliens se contenteraient bien assez d'excréments parce qu'ils ne connaissent que cela. C'est si frontalement inexistant. Et leur littérature... Un pays sans auteurs est un mirage de pays. Ah non, Bolaño n'est pas chilien mais mexicain de cœur et d'esprit donc mexicain à part entière, autant que Fresán qui n'est plus argentin pour un sous mais lui aussi mexicain. Qui d'autre ? Jodorowski est un affabulateur sûrestimé qui filme et écrit ses rêves de fous comme n'importe qui pourrait le faire avec un minimum de talent et d'argent et donc de drogues. Neruda... Nerruda, franchement, qu'ai-je de plus à en dire que je n'ai déjà dit sur lui ? Je ne veux plus en débattre. Les pays se fabriquent les héros dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin. L'opportunisme a fait ses classes et le Chili s'en est fait une spécialité comme Venise pour les masques et le carnaval et les amoureux et les eaux douteuses et les ponts qui cachent des choses. Voudriez-vous sincèrement être encore dirigés par un peuple qui ne sait pas écrire ?
Et la mauvaise écriture des Chiliens n'est rien encore : ils veulent tout de nous ! Ne nous laissons pas déborder par l'envahisseur chilien, ne fléchissons pas ! Ayons-les à l'œil : ils ne méritent que ça ! Ils en veulent à notre argent, à notre culture et à notre couverture sociale ? Et bin on va leur expliquer la vie, moi je vous le dis, à ces rififi de Chiliens ! Ils se répandent avec leurs odeurs chiliennes primaires et leurs bouches édentées grossières et toutes rafistolées de Chiliens : ils sont si laids, ils ressemblent à des bêtes, des chiens _ je n'aime pas les chiliens_ et comme les chiens ils se reproduisent entre eux et se reconnaissent à l'odeur de leurs fesses et leurs fèces. Leurs femmes sont surfécondes et enfantent les êtres difformes et répugnants qui feront les nouveaux chiliens et qui se reproduiront à leur tour dans le noir à la façon des vers. Leurs enfants faméliques envahiront les rues et mangeront nos enfants en prétextant des jeux : nous pouvons déjà compter les cadavres dans les rues dans lesquelles ils déambulent le regard blanc et révulsé et avide et quand ils ne disent pas : "veux-tu jouer avec moi", ils s'ont occupés à dévorer du regard ce qu'ils dévoreront bientôt. Et puis ils viennent avec leur très mauvaise nourriture de Chiliens, de la nourriture empoisonnée qu'ils nous imposent. Et leurs habits de Chiliens qui soi-disant sont mieux que ceux de Nike, alors qu'ils sont tissés avec les poils et les cheveux de nos morts _ je n'aime pas les Chiliens. Et leurs technologies de Chiliens. Et leurs calculatrices de Chiliens. Et leurs consoles de jeux chiliennes. Et leurs ordinateurs chiliens avec leur Wi-Fi chilien et leurs clés USB chiliennes. Et leurs opérateurs de téléphonie mobile chiliens. Et niveau bouffe, j'y reviens, d'abord l'asado c'est peut-être totalement carrément argentin ! Ah ah ! Pouët pouët on ne la ramène pas hein ? Je suis le changement. JE suis le changement. JE, MOI, MOI, MOI, personne d'autre que moi _ j'ai le pouvoir, c'est moi, MOI, MOIMOIMOIMOIMOIMOIMOIMONMOIMONMOIMOI je veux gouverner, MOIMOI, je suis une femme, c'est MOI ! MOUAAAAAAAAAÂÂÂÂ ! Mais y'a les chiliens, eh oui, et ils ont de ces idées derrière leur grosse tête laiiiiiiiiiiiiide de chiliens et des manières de faire, des manières de Chiliens si vous saviez, que le changement, et bien, il est pas facile facile, on a des bâtons dans les roues, des branches d'arbousier, chaque jour, des bâtons d'arbousier de la taille des manières des Chiliens : gros et tordus comme le monde qui est porté par des éléphants et la... je ne les veux pas. Personne ne les veut. Je déteste les Chiliens, je n'aime pas les Chiliens, MOIMOI.
Non mais ! Ça va oui ? C'est bon là eh oh ralala ! Pof, pof, pof, allez allez, dehors les Chiliens... DEHORS LES CHILIENS !!!! Alors l'autre jour j'étais sortie, toute belle comme à mon habitude, toute pimpante quoi, avec le rouge à lèvres carmin et la petite jupette qui fait bien à ras les genoux, et je me promenais, tranquille et fraîche, avec mon petit panier qui dodelinait gentiment dans ma main, et là deux frustres paysans m'accaparent comme ça, comme si de rien n'était, genre : "bonjour madame" tout ça "fait bin bin joli hein" lalala "oh oui dites donc" et là _ paf_ ils me prennent en levrette, par derrière, alors je leur dis "non" puis "non mais oh ça va pas bien là" et "oh la la, tout de même" et "c'est pas bientôt fini oui ?!"et puis bon voilà, j'ai baissé les bras parce qu'ils avaient raison : il faisait ben bin joli ce jour-là. Alors une fois leurs petites affaires terminées, je pars en courant, je laisse tomber le petit panier qui ne dodeline plus du tout dans ma main, je me nettoie la minette dans la rivière poissonneuse, je me souviens entre temps que je suis à la tête d'un projet de jardin botanique parce que j'ai passé l'année dernière très justement le concours national des paysagistes nationaux et que je l'ai réussi du premier coup et que j'ai de ce fait des obligations et c'est comme ça que je suis devenue femme politique. Alors je me présente au Sénat, je signe le papier, et me voilà sénatrice. Parce que c'est pas compliqué d'être sénatrice hein. Ils te font juste passer un concours en te posant deux questions : "Vous savez construire une cabane ?" et " Vous savez que la mousse qui pousse sur les troncs d'arbre indique le nord ?" et si tu réponds "oui" aux deux questions, ben je te le donne en mille : t'es sénatrice et t'as la belle voiture de fonction avé la cocarde en sus. Bon. Alors ils m'ont mis une jupe longue de vierge qui n’a pas l'air d'y toucher pour un sou, je leur ai raconté pour le viol et ils m'ont dit "ben t'as qu'à dire que ce sont les Chiliens qui t'ont fait ça". Alors je suis allé sur le balcon, j'ai dit : "Don't cry for me Argentina" avec les deux bras qui partaient à la kermesse alors que j'étais pas du tout en Argentine puis "The turtle is I never left you" et enfin "C'est ces deux conneaux de Chiliens qui m'ont fait le coup" et là ça a été la liesse que tu en peux plus et je suis devenue un véritable danger pour le président sortant et de fil en aiguille bé té, je suis là devant vous. Mais en fait c'est pour ma mère que je suis ici.
Pour que rien ne lui arrive rien. Que les Chiliens ne lui fassent pas de mal _ je n'aime pas les chiliens. Je pense à elle, je pense à vous : je tiens à vous protéger. Nous sommes un seul corps. Ce que je fais pour elle ou bien ce que je veux pour elle ou bien ce que je souhaite pour elle, je le fais, veux, souhaite pour vous tous ici réunis pour me voir. Ah ah _ Que je compte les jours, que je mange des pommes, ou que j'ai tué la tortue, on s'en fout.
Nous voulons le changement pour notre pays.
C'est une nouvelle ère qui se profile.
Je suis comme vous.
Nous désirons la même chose.
C'est maintenant que vous pouvez applaudir.
Applaudissez.
Arrêtez d'applaudir !
Arrêtez d'applaudir !
Je vous demande ardemment d’arrêter d’applaudir, et cela sur le champ ! Maintenant. Tout de suite. Arrêtez ! MOI. Je vous demande. MOIMOIMOIMOIMOI. MOIMOIMOI moimoimoi MOIMOIMOI ! Vous n'êtes pas au spectacle. Arrêteeeeeeeeeeeez d'applaudir ! Il n'y a pas de divertissement, ce n’est pas du divertissement, il n’y a jamais eu de divertissement. Vous n’êtes pas au spectacle. Où vous croyez-vous ? Chez Mémé ? Vous avez vu la Vierge ou quoi ? C’est la fête du slip c’est ça ? Ne pressentez-vous pas la terrible menace qui pèse sur vous comme les trois kilos pris après Noël et la bûche et le nain qui pousse la brouette ou scie du bois avec son sourire à la con et son chapeau à pompon ? Hein ? Les Chiliens vont voler notre pays, nous torturer, et une fois que nous serons bien fatigués, ils vont nous donner aux Américains qui eux-mêmes nous livreront aux Chinois pour qu'on nous transforme en cartes à puce ou en nourriture comme dans Soleil Vert.
Oui, c’est de torture dont je vous parle ! Oui, moi, je vous le dis, MOIMOIMOI moimoimoi MOIMOIMOI ! Dans l’cul la balayette ! On s’est fait avoir ! Je déteste les hommes qui font du jogging dans des bas de survêtement à gros élastique et qui ne mettent pas de sous-vêtements que ça fait chloquetchi-chloquetchi et ça à chaque foulée ! On va tous y passer si on ne fait pas quelque chose tout de suite avec les doigts et les poings et des pancartes qui disent « non » et des pavés et des cocktails Molotov et du papier crépon et des rubans qui tournoient ! Je n’aime pas les Chiliens. Parce que la torture, ça fait mal ! La torture, c'est pas une partie de plaisir, il faut le savoir ! On ne se fait pas torturer comme on joue au jokari! La tortue, ça peut détruire une vie autant que les dents et les muqueuses ! Oui oui oui ! La torture, c’est peu engageant et c’est douloureux ! Faudra pas v’nir pleurer et dire « ouille » après, non mais !
Puis : Mes adversaires me reprochent mon inconstance ? Je leur reproche quant à moi leur incompétence ! Je leur reproche leur inaction ! Exactement ! Je les toise et je leur dis : "je vous reproche votre inaction" ! Je leur reproche de ne pas y voir clair ! Je leur reproche un manque d’objectivité ainsi qu’un manque de lucidité ! Ils ne sont plus en phase avec la société qu’ils veulent représenter, poil au nez ! Leurs méthodes sont prévisibles et leurs actions tellement téléphonées (rime riche) ! Mais arrêtons deux minutes! Soyons sérieux ! Parce que je sais lire, moi, entre les lignes et les galimatias ! Je sais lire dans leurs yeux et je les défie : ils ne me terrorisent plus. Posons les bonnes questions. Recentrons le débat, voyons. Cela suffit ! Faisons le point, et faisons-le bien (rime pauvre) pour une fois. Soyons pertinents. Ils flagornent tant et tant. Nous nous sommes par trop égarés. Prenons le temps d'étudier toutes les possibilités. Je pense avoir été en pleine digression, j’ai besoin d’avoir ma propre maison. Je vacille. Je me sens mal. Ma fille. Où est-elle ? Quelqu’un a mis du poison dans mon verre, appelez mon conseiller, aaaahhhhhhhhhh, appelez David Lhomme, dites-lui que je l’adoube. Dites-lui : « David Lhomme, dans sa très grande mansuétude, elle t’adoube ». Adoubez-le ! Adoubez David Lhomme ! Adoubez-le ! Adoubez-le ! Adoubez David Lhomme ! Adoubez-le ! Adoubidoubidoubidou waaah ! Adoubez-le ! Adoubez-le ! Adoubez-le !
Adieu. J’ai bien travaillé.
Off.
Le texte qui suit constitue mon testament.
Ceci est mon testament, voilà mon testament, mon testament est juste dessous. Là, c'est mon testament.
Je soussigné, MOI, Moi, né le (date de naissance), à (lieu de naissance), demeurant à ce jour (adresse du domicile) déclare priver M. Lhomme, David, né le (date de naissance), à (lieu de naissance), demeurant à ce jour à (adresse du domicile) de tout droit à ma succession, à l'exception de la réserve prévue par la loi dans l'hypothèse où je n'aurais plus aucun descendant en vie à la date de mon décès, ce qui est le cas puisque je n'ai plus aucun descendant en vie à la date de mon décès.
Ce testament révoque toutes les donations de biens à venir consenties à son profit.
Bisous.
MOI Moi.
Je suis morte hier. La journée a été décrétée deuil national bien que mes opposants aient essayé de faire abroger cette décision. La mobilisation fut telle que le jour de mon décès est désormais férié. Youpi. Et puis il faisait beau alors tout le monde est descendu dans la rue dans une liesse. Le jour de ma mort est le plus beau jour de ma vie.
Une ombre au tableau concernant ma belle mort qui remet en cause toute mon existence même : comment ai-je pu être si crédule ? Comment ai-je pu être si manipulée et manipulable ? Ce n'était pas vrai que les Chiliens étaient mauvais, seul David Lhomme l'était. Comment ai-je pu ainsi me fourvoyer ? Comment ai-je pu être si aveugle ? C'est David Lhomme qui a versé le poison dans mon verre, certaines caméras de surveillance l'ont pris sur le fait. Il a commis son larcin et ça en pleine nuit : éclairé par la seule lumière de la Lune, il s'est dirigé dans la cuisine et a versé le poison dans ma bouteille de Muscat de Beaumes de Venise. Celle à peine entamée qui trônait dans le frigo du haut et que je gardais pour les moyennes occasions. Et ensuite il est parti comme si de rien n'était en sifflant "Somewhere, Over the Rainbow" ou bien "Moon River", on sait plus trop. Quelqu'un l'a vu faire en plus des caméras de videosurveillance. Quelqu'un l'a entendu. Quelqu'un a regardé au travers d'une serrure. Quelqu'un a des preuves de ça mais malheureusement un pot-de-vin a été versé et la bouche du spectateur scellée à jamais. Comment ai-je pu lui accorder ma confiance ? J'aurais dû me douter de quelque chose : il sentait si fort. Il faut toujours se méfier des hommes qui portent un mauvais after-shave. Un homme qui ne se soucie pas de ce détail finira par vous planter un couteau dans le dos. Surtout si vous êtes en politique car justement, en politique, tous les coups bas sont permis : ils sont même idéaux, comme le spleen. C'est une vérité. Des gens très intelligents ont déjà écrit sur ça.
Sans doute feront-ils une comédie musicale sur ma vie et j'espère que cet épisode sera fidèlement retranscrit pour permettre un final réussi. Dans une grande scène, on pourra voir la comédienne censée m'incarner, vaciller, se tenir le front, transpirer pour enfin tomber au sol avec une splendeur des plus raphaéliques. Elle fera pleurer le monde. Elles gagnera d'ailleurs un prix pour ça. Mais qu'ils ne transforment pas la réalité. Il faut que toutes les zones d'ombres soient éclaircies : n'est pas icône qui veut. Que l'on ne me fasse pas mourir d'un cancer de l'utérus ou de quelque chose de ce genre alors que j'ai bel et bien était empoisonnée. A la façon d'un Shakespeare et d'une tragédie de vengeur, la vengeance en moins. Quelque part, ce meurtre me sert à merveille : je vais être adulée pour une certaine postérité et avec un port altier: regardez-moi. MOIMOIMOIMOI, je bombe le torse. Ils vont faire une statue de cire à mon effigie. Je suis heureuse d'avoir ainsi été fauchée en plein ascension comme un Christ. Le peuple n'aura pas eu le loisir de vieillir avec moi, il ne m'aura pas vu déchue, voûtée, le corps accroché à une canne, sénile, faisant sous moi avec de la bave accrochée à mes lèvres comme un enfant à la main de sa mère, vieille et acariâtre comme jamais, et cela dans la déchéance d'une citerne inutile qui se déverserait sur rien. Non. Le peuple m'a vu défaillir lors d'un de mes discours les plus brillants. Toutes les télés du monde ont retransmis la scène. J'ai vu ce peuple. Qui me regardait, scotché par le flot de mes paroles, aimanté par mon magnétisme et mon charisme naturelle. Je les ai eus. J'ai réussi. Is sont à moi.
Et là-dessus, David Lhomme est venu m'arracher mon pouvoir pour en faire le sien et pire que tout, le partager avec les américains. Parce que ce n'est pas vrai que tout est la faute des Chiliens, on m'a trompé. Les Chiliens sont gentils, c'était David Lhomme le méchant depuis le début. Ainsi, dans tous mes discours, il convient de substituer au mot Chiliens, le nom de David Lhomme. Je n'aime pas David Lhomme. Je ne l'ai en fait jamais aimé mais je ne le savais pas. D'un grand malheur est venu la prise de conscience.
On m'a dit que certains de mes organes avaient été prélevés pour être greffés sur des malades : j'en suis plus qu'heureuse ! C'est un grand honneur pour ces patients, et une grande chance pour moi de savoir que mes morceaux vont me survivre.
Une dernière fois donc, je vous embrasse. Puisse la métempsycose me permettre de renaître ailleurs.
Votre.
(à suivre)
Alban Orsini
Alban Orsini
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